Interview / Océane pour les intimes, Suzane pour le public... La Révélation Scène de l'année 2020, actuellement en tournée à travers la France pour présenter son deuxième album Caméo, se produira au Fil de Saint-Étienne dans le cadre de Paroles et Musiques. Échanges, à quelques jours du concert.
Vous faites partie des artistes pour lesquels le parcours n'a pas été simple... Mais aujourd'hui, Suzane, ce sont deux albums, des millions de streams, des centaines de dates, une Victoire de la Musique... Quel regard portez-vous sur cette trajectoire ?
J'ai un peu de mal à la regarder, pour tout dire... C'est un peu un tourbillon ! Ce que je sais, c'est qu'à 5 ans, j'ai éprouvé un fort besoin de danser, et d'écouter de la musique. Et j'ai aussi eu besoin, plus tard, de me séparer de tout ça pour me rendre compte que je ne pouvais pas vivre sans. La musique est pour moi un outil, grâce auquel je peux m'exprimer : c'est une chance. Et puis, je crois aussi que les plus belles histoires sont celles qui ont des pages et des rebondissements. Je regarde mon parcours avec une certaine fierté, une certaine bienveillance aussi ; je ne sais pas combien de temps cela va durer mais ce qui me fait plaisir aujourd'hui, c'est surtout de savoir que j'ai la chance d'avoir un public investi.
Le fait d'avoir aussi connu cette période sans faire de musique ou de danse, vous fait-elle craindre que les choses s'arrêtent, justement ?
Mais la fulgurance peut aussi être cruelle... Certains artistes ont émergé très vite et très tôt, et puis, pour eux, tout s'est arrêté net. Tous les artistes, d'ailleurs connaissent le creux de la vague, même Johnny l'a connu à une époque, il faut arriver à vivre avec. Alors, oui, j'espère ne pas être une artiste éphémère, je me rassure aussi en me disant que je remplis plutôt bien les salles sans trop de passages radios... Et il se trouve que la scène est ce qui me nourrit le plus, c'est pour cela que je fais ce métier-là, pour cela que je fais des albums. Pas pour des streams ou pour TikTok ou Insta. Je plaide plutôt pour le contact direct avec les gens et j'espère qu'un jour, on reviendra à l'ère où la musique retrouvera cette place-là.
Vous parliez du fait que vous passez peu en radio... Comment l'expliquez-vous, alors même que vous remportez aujourd'hui un joli succès auprès du public ?
Peut-être que mes textes impliquent que les radios fassent preuve d'un peu de courage pour les diffuser. Mes chansons expriment mes réactions au monde, je fais des constats, j'aborde les difficultés à l'œuvre, mais aussi mes angoisses... Peut-être que ces textes choquent un peu trop, peut-être qu'en France, les radios préfèrent des choses un peu plus policées. On peut prendre l'exemple de Clit is Good. Cette chanson a été diffusée en radio au Canada... Pas en France. En France, on n'est visiblement pas prêt à diffuser un texte sur le plaisir féminin.
Puisque vous abordez la question de vos textes... Écologie, discriminations, violences sexistes et sexuelles, plaisir féminin. Vous affirmez une ligne progressiste dans vos réactions au monde. Vous vous considérez comme une chanteuse engagée ?
Oui, je crois que oui. Engagée, dans le sens où je m'engage à aborder ces thématiques avec sincérité. Mais il n'y a pas que des chansons engagées dans mes albums, on y trouve aussi des choses plus douces...
On a le sentiment, face à la crise de la représentation que nous vivons, que les artistes sont aujourd'hui les seuls, à pouvoir porter haut nos idées, nos volontés, nos désirs – avec les assos, mais qui bien souvent peinent à avoir suffisamment de moyens pour pouvoir le faire. Partagez-vous ce sentiment, et n'est-ce pas lourd à porter ?
Les mots que je porte sont en effet parfois lourds. Mais attention, je crois que je suis avant tout mon propre porte-parole. Si les gens sont nombreux à se retrouver dans mes textes, tant mieux, plus nous sommes nombreux, plus les chansons résonnent. C'est toujours le public, qui fait vivre les chansons, pas l'artiste.
Mais avec Clit is good, vous en parliez tout à l'heure, vous avez souhaité passer un message que peu de gens veulent porter, et que beaucoup ne sont pas prêts à entendre...
Oui. J'aurais aimé que cette chanson-là ait une résonnance plus grande. Et le résultat est là : en 2023, alors que les contenus malveillants ont envahi la toile, au détriment des femmes, en les réduisant à la seule place d'objet de désir ; une chanson et de belles images qui abordent non seulement la masturbation féminine, mais plus généralement les inégalités homme-femme, et la possibilité pour les femmes de se réapproprier leur corps et leurs désirs ne sont pas diffusées (et même censuré aux moins de 18 ans sur Youtube, NDLR).
Venons-en à votre deuxième album, Caméo. Vous le décrivez comme un autoportrait : est-ce qu'il s'agissait pour vous d'une manière de marquer une pause, et de ne pas se laisser tourner la tête par le succès du premier ?
Il s'agissait de réagir sur ce qui est arrivé avec le premier album oui. C'est un chamboulement. Et ça m'a beaucoup déstabilisée : durant 5 ans, j'ai un peu donné mon corps au public. Tu finis par appartenir un peu aux autres. Même ma mère, me dit aujourd'hui que je ne suis plus qu'à elle. C'était une manière de répondre en chansons à la question « qui es-tu, Suzane ? ».
Vous vous dévoilez davantage dans cet album, dans lequel on sent donc une forme de lâcher-prise, le costume a été remisé au placard, la frange aussi, les musiques voguent davantage d'un style et d'une rythmique à l'autre... Pourquoi avoir à ce point-là été dans le contrôle, sur le premier album ?
Je ne sais pas, cela correspond à une période de vie... Je pense que j'avais besoin de me protéger un peu. La combi était un peu une tenue de combat, elle m'a permis d'affronter mes peurs. Je n'avais pas le choix, en plus, je devais les affronter et réussir... Je crois que par ailleurs, je me transforme de plus en plus, pour aller de plus en plus vers moi-même.
Suzane, le 26 mai au Fil de Saint-Étienne dans le cadre du festival Paroles et Musiques