Jeanne Dielman
CHANTAL AKERMAN /Carlotta
Partout dans le monde, les annĂ©es 70 ont construit notre identitĂ© culturelle, profondĂ©ment. Et pourtant, on ne cesse de redĂ©couvrir des œuvres fondatrices dont la pĂ©rennitĂ© se fait encore sentir aujourd'hui. Ă€ tout juste 25 ans, Chantal Akerman Ă©crit et rĂ©alise en 1975 Jeanne Dielman, portrait en 195 minutes et en plans fixes d'une femme au foyer, prostituĂ©e occasionnelle, qui voit son quotidien d'abord mĂ©ticuleusement rĂ©glĂ© se dĂ©traquer jusqu'au drame final et libĂ©rateur. Trois jours de la vie de Jeanne Dielman, c'est la prĂ©paration du petit-dĂ©jeuner, les courses chez les commerçants de Bruxelles, la garde fugace du bĂ©bĂ© de la voisine, la prĂ©paration d'une escalope panĂ©e, le dĂ®ner avec son fils, la rĂ©citation d'un poème de Baudelaire... C'est une vision de l'enfermement qui en passe par le vide pour faire sentir au spectateur la douleur de sa situation. Film-environnement, Jeanne Dielman Ă©tonne cependant par le magnĂ©tisme de ses plans, implacables, la richesse d'une bande-son faite de bruits ordinaires mais parfois insupportables (la scène du gosse qui crie met Ă rude Ă©preuve les nerfs du spectateur), et la durĂ©e impressionnante de ses scènes. C'est bien sĂ»r une expĂ©rience de cinĂ©ma limite, oĂą il ne se passe rien, vraiment rien, mais qui marque du coup l'esprit et oblige Ă redĂ©finir son rapport au monde. Gaspar NoĂ© s'en souviendra dans Seul contre tous, Gus Van Sant aussi dans Elephant, mais surtout Bruno Dumont dans tous ses films. On l'a dit, c'est un film-matrice, qu'il faut avoir vu, au risque de le haĂŻr - mais nous ne sommes pas encore obligĂ©s d'ĂŞtre tous d'accord, non ?CC