Un Roman diabolique
Classique de la terreur, Rosemary's baby de Roman Polanski a réinventé le cinéma d'épouvante avec une idée simple : le mal ne vient plus d'ailleurs, mais de nos entrailles.CC
Adieu monstres griffus et baveux, vampires ténébreux et assoiffés, extra-terrestres menaçants et belliqueux : avec Rosemary's baby, le danger, c'est, en 1968 dans un vieil appartement new-yorkais, le ventre rebondi d'une petite bourgeoise enceinte. Rosemary (Mia Farrow, dont la coupe garçonne a contribué à en faire une icône) vit avec son compagnon Guy (John Cassavetes, à la recherche d'un cachet pour boucler la production de Faces), un acteur minable. Ils viennent d'emménager dans un luxueux immeuble ancien, et les relations avec les voisins, des petits vieux sympathiques mais collants, sont plutôt cordiales. Un soir où elle a un peu picolé, Rosemary s'endort et fait un mauvais rêve : elle se voit dans un maelström d'images d'où surgit celle de son mari la chevauchant tel un démon sorti des enfers. Quelques semaines plus tard, elle se retrouve en cloque et, entre les douleurs persistantes, la présence inquiétante des habitants de l'immeuble et un faisceau de révélations graduellement flippantes, elle se persuade que le fœtus n'est autre que le fils du diable...L'horreur est humaineMis à plat, on voit que le scénario, tiré du livre d'Ira Levin, est du genre casse-gueule. C'est donc bien la mise en scène de Polanski qui se charge de nous faire croire à l'improbable, offrant du coup un formidable second souffle à un cinéma d'épouvante dont les codes commençaient à sentir le renfermé. Dès la visite de l'appartement, chaque détail capté par la caméra contribue à installer l'inquiétude et le doute dans l'esprit du spectateur. Puis viennent les premières scènes chocs, moments de cauchemar que Polanski dit avoir écrit en repensant à ses délires au LSD. Des séquences qui ne répondent pas aux classiques échappées oniriques du cinéma fantastique : elles conservent la teinte réaliste du reste du film, mais en troublent le rythme visuel et la grammaire (plans muets ou presque subliminaux, adresse directe à la caméra...). Si bien qu'on ne sait pas exactement ce qui s'y est passé, tout comme Rosemary ne sait pas si elle fantasme ce complot ou si on veut authentiquement lui prendre son enfant. Plus le film progresse, plus Polanski tend une corde de suspense jusqu'au point limite d'un fabuleux plan-séquence où Rosemary attend un coup de fil dans une cabine téléphonique. Pas d'effets spéciaux, ni d'angles de vue compliqués ; nous faisons à cet instant corps avec l'angoisse du personnage. Polanski n'a jamais été aussi grand que dans ces exercices-là , huis clos paranos qui, de Répulsion au Locataire, enferment spectateurs et acteurs dans une même logique de trouille livide. Il en livrera tardivement, avec Le Pianiste, la source autobiographique et traumatique, ce qui rend avec le recul encore plus stupéfiant ces films de pure terreur quotidienne.Rosemary's babyde Roman Polanski (1968, ÉU, 2h13) avec Mia Farrow, John Cassavetes...À l'Institut Lumière, jusqu'au 8 mai