La Chinoise
Le film de Jean-Luc Godard est prémonitoire : tourné un an avant les événements de mai 68, il décrit l'atmosphère qui a contribué à la genèse de ce bouleversement, à travers les causeries politiques de jeunes communistes. SD

Photo : Hugo Films
Véronique, concernée, sombre (magnifiquement interprétée par Anne Wiazemsky), est une étudiante en philosophie d'extraction plutôt bourgeoise. Elle est surtout la surprenante et séduisante leader d'un groupe de jeunes communistes, énonçant des théories politiques avec un sérieux bressonien limite ridicule. C'est dans un appartement parisien, jonché de livres rouges, peinturluré des couleurs du drapeau français, réorganisé en salles de conférences, que la demoiselle et son groupe ont établi leur QG. Le groupe, en l'occurrence quatre camarades passionnés s'y côtoient : Guillaume, le génial Jean-Pierre Léaud, comédien de son état et amant de la belle Véronique, Yvonne (Juliet Berto) la paradoxale femme de ménage et prostituée occasionnelle, amante du futur dissident Henri, joué par Michel Semeniako, le plus placide du groupe. Et cette belle équipée vit aux rythmes des principes maoïstes, qu'elle tente d'appliquer à sa vie quotidienne. Est-ce du Chinois ?Dans l'appartement, ça parle, ça expose, ça assène, ça débat en permanence, telle une mini-Université à domicile, sur la politique française des années 60, sur la révolution culturelle Chinoise, sur le Vietnam, sur le théâtre politique et social brechtien, sur le cinéma (Méliès n'est plus le premier réalisateur de fiction mais le premier a avoir tourné des actualités...) et surtout, la pensée marxiste-léniniste circule comme une parole d'évangile, dans cette révolution dans un premier temps en appartement. Car dans un deuxième temps, seront-ils effectivement les fervents activistes et terroristes qu'ils désirent devenir ? Vont-ils effectivement assassiner une personnalité politique, en l'occurrence Mikhail Solokhov un haut responsable russe et prix Nobel de littérature ? Ce qui maintient toujours le suspense, la tension dans ce film, au fond proche du documentaire, c'est qu'il est très difficile de porter un jugement sur ces personnages : les propos paraissent fumeux, mais dans le fond ils sont justes et bien vus ; les personnages paraissent extrêmes mais en même temps, ils donnent l'impression de jouer aux adultes, d'être faux. Sont-ils risibles, vrais, ridicules ? Se la jouent-ils, jouent-ils, à quoi jouent-ils ? Godard les regarde-t-il avec ironie, cynisme ? Pas vraiment. En témoigne les faux dialogues entre Godard et les personnages : en off, on perçoit, tenue, la voix de JLG posant des questions aux jeunes gens sur leurs choix, leurs existences, leurs désirs. Ou encore, cette magnifique scène où Véronique s'ouvre au philosophe Francis Jeanson sur son projet de devenir terroriste : l'intellectuel raisonnable débat avec elle dans un immense respect, sans condescendance, ni dédain.La Chinoisede Jean-Luc Godard (1967, Fr, 1h30) avec Anne Wiazemsky...le 18 avril à 20h, au CCC