Norway of life

Mercredi 4 avril 2007

Inquiétant, hilarant et cinématographiquement passionnant, un conte fantastique venu de Norvège sur les dérives d'une société qui veut le bonheur à tout prix de ses citoyens.Christophe Chabert

Vous êtes sur le quai du métro, attendant la rame. Pas grand monde. Ah, si... Un couple qui s'embrasse langoureusement. Votre regard est attiré par ce baiser interminable, et la nausée vous prend. Cette galoche a quelque chose de mécanique, froide répétition d'un geste vidé de son sens, effectué par des corps robotisés. Sueurs froides. Angoisse. La rame arrive et... Quelque chose s'est passé, mais quoi ? Vous voilà dans un bus au milieu de nulle part. On vous accueille, on vous transporte en voiture, le paysage change en un raccord de plan : vous êtes dans une ville briquée à la perfection, tout le monde vous sourit, on vous trouve un job, on vous loge dans un motel. Et, un peu plus tard, on vous trouve une femme. Parfaite, elle gère votre couple comme elle décore son intérieur : sans faute de goût, sans tache, sans aspérité. Vous vous souvenez alors qu'à votre arrivée, vous aviez vu un costard-cravate défenestré, empalé sur une grille, les tripes à l'air. Mais les agents de nettoyage et leur véhicule, le seul à circuler dans les rues, avaient vite fait disparaître tout ça. Cela étant, à part vous, personne n'avait été dérangé par cette vision traumatisante...Le monde selon IkeaOù sommes-nous ? Dans Norway of life, brillante fable signée Jens Lien. Oui, mais plus fondamentalement, nous sommes dans un monde qui ressemble au nôtre, au sens où les fables de J.G. Ballard - notamment Super-Cannes - n'ont de fantastique que le nom... Un monde où le bonheur est partout, tout le temps, où plus rien n'a de goût, où l'individu se déplace dans le cadre comme à travers les photos d'un catalogue Ikea. On se souvient de cette scène fabuleuse de Fight Club où Edward Norton voyait son intérieur se métamorphoser en pub géante pour la fameuse marque suédoise. Lien va plus loin : ici, tout est «ikeaisé», même les êtres humains, qui jouent leur rôle sans fausse note pour ne jamais déranger l'équilibre de la société (la bonne épouse, la fille frivole qui couche avec tout le monde, le patron sympa...). Évidemment, un grain de sable va faire dérailler la machine, un simple appel d'air, une musique qui ne sort pas d'un ascenseur mais d'un trou dans un mur. Norway of life rappelle ainsi un autre cinéaste du Nord, Roy Andersson et ses fameuses Chansons du deuxième étage, mais là où Andersson croquait la société contemporaine avec une série de sketchs absurdes et chorégraphiés, Lien tient son scénario de bout en bout, construit ses personnages, et son film s'avère presque toujours surprenant, et surtout également drôle et flippant. Sommes-nous au paradis ? En enfer ? Ou juste pas loin de chez nous, dans le monde aseptisé du consensus ? En cela, Norway of life fait figure de mise en garde à tous ceux que le débat, la critique et l'affrontement répugnent...Norway of lifede Jens Lien (Norvège, 1h35) avec Trond Fausa Aurvag, Petronella Barker...