Chronique d'un scandale
Désir, domination, fascination dans une société anglaise hypocrite : Richard Eyre transforme une affaire de mœurs en thriller psychologique palpitant.Christophe Chabert
Ce qui sidère avec Chronique d'un scandale, c'est la frontalité avec laquelle est dépeint le microcosme londonien dans lequel s'inscrit son fait-divers. Un collège et ses environs où se croisent jeunes blancs désœuvrés évadés d'une chanson des Arctic Monkeys et fils d'immigrés intégrés à coups d'uniformes stricts, profs «BoBos» faussement cool et vieilles badernes réacs. Loin de nous vanter un modèle anglais, Richard Eyre dresse un tableau politiquement sinistre que le récit ne va pas, loin de là , démentir. C'est Barbara Covett, enseignante old school blasée par la nullité du niveau scolaire et tout aussi aigrie d'être restée vieille fille lesbienne, qui nous l'introduit en voix-off. Quand se lève un rayon de soleil dans sa vie déprimante, une toute fraîche prof de dessin nommée Sheba, Barbara se met à rêver d'une amitié particulière avec cette femme qui se croit «moderne» malgré un mari vieillissant (Bill Nighy, le Depardieu anglais !), un pavillon et deux enfants. Mais Sheba ne l'entend pas ainsi... Elle jette son dévolu sur un de ses élèves, blanc-bec pas si innocent que ça, avec qui elle entretient une liaison vite découverte par Barbara. Qui s'en sert comme moyen de pression pour obtenir les faveurs de sa «protégée»...Secrets et mensongesChronique d'un scandale dit le titre. Il y en aura même plus d'un, mais ils sont à l'image de l'Angleterre évoquée : miteux, dignes de figurer en Une des tabloïds crados qui pullulent au pays de Tony Blair et dont Eyre montrera les dessous peu ragoûtants à travers une horde sauvage de photographes. Ce qui se joue en fait au long du film, c'est le rapport de force qui s'installe entre les personnages à coups de mensonges et de manipulations. En cela, Richard Eyre ne raconte pas tant une «chronique» qu'un vrai bon thriller et sa mise en scène intense et nerveuse transforme chaque séquence en moment de tension extrême. Si les secrets ne sont ni militaires, ni politiques, mais psychologiques, sociaux et affectifs, ils s'échangent quand même sous le manteau et menacent à tout instant de faire s'écrouler un édifice déjà branlant. À la manière des excellentes séries de la BBC, Chronique d'un scandale ne prend jamais de hauteur avec les événements décrits, adoptant une stratégie immersive pour en faire ressentir les enjeux. Le cinéaste n'y arriverait pas si bien s'il n'était aidé par un tandem d'actrices exceptionnelles : Cate Blanchett en prof dépassée par son désir et par la tendre cruauté de son amie/bourreau fait instantanément oublier son faux-pas dans The Good German. Quant à Judi Dench, géniale, elle sait attirer dans la même scène l'horreur et l'empathie, le dégoût et la commisération, striant son masque de momie rigoriste par des émotions feintes ou réelles. Avec Helen Mirren, elle est l'autre Queen des écrans anglais.Chronique d'un scandalede Richard Eyre (Ang, 1h32) avec Judi Dench, Cate Blanchett, Bill Nighy...