Surface de réparation
La rencontre entre le musicien Fred Poulet et le footballeur Vikash Dhorasoo a accouché d'un film, «Substitute», tourné en super 8 pendant la coupe du monde, entre correspondance filmée et chronique de la déprime du remplaçant. Rencontre.CC
Fred Poulet est du genre curieux. Musicien, il compose aussi bien pour le cinéaste porno John B. Root que pour l'actrice Jeanne Balibar. Et il tient chronique régulière dans une excellente revue trimestrielle nommée Vacarme. Un de ses billets avait pour sujet le footballeur atypique Vikash Dhorasoo : pilier de l'OL de 1998 à 2004 (sauf une saison à Bordeaux), il passe une année ratée au Milan AC avant d'atterrir au PSG, dont il s'est fait licencier il y a peu. Dhorasoo tombe sur l'article en question. Échange de mails. Échange de portables. L'amitié se noue («On a tout de suite eu des trucs à se dire», dit Poulet) et, à l'approche de la coupe du monde pour l'équipe de France dont Dhorasoo devait être un des joueurs-clés, Poulet lui colle entre les mains une caméra super 8 pour qu'il tienne un carnet de bord filmé. «Découvrant de plus en plus la personnalité de Vikash, je me suis dit que s'il y avait un truc à faire, c'était maintenant». Il ne pensait pas si bien dire !TransfertLes premières scènes, étonnantes, montrent les deux retournant au Havre, «là où tout a commencé» pour Dhorasoo. Scène magnifique où des gamins font devant lui une démonstration de leurs talents techniques... au bord du terrain ! Quand Dhorasoo, maintenu par Domenech sur le banc des remplaçants pendant presque toute la compétition, touchera le ballon, c'est comme eux, à l'entraînement, pour rien. «Les gamins disent : «c'est pour toi Vikash» et presque simultanément dans le film, Vikash dit qu'il joue pour lui, en parlant de son entraîneur». C'est ce genre de rimes qui font de Substitute un objet étrange et émouvant. Ça et le contrechamp mélancolique (des couloirs vides, des chambres d'hôtels tristes, des vigiles...) de la liesse vécue en juillet dernier. Quotidien banal pour Poulet : «Les logeurs de la banlieue où je résidais, ils s'en foutaient de la France» ; anonymat amer pour Dhorasoo : «Quand je finis le match, je traverse la zone mixte avec les journalistes, et il n'y en a pas un qui m'arrête. Le lendemain, j'allume la télé, mais j'existe pas». Surtout, ennui général pour tous les deux. Alors que Dhorasoo plonge dans une forme de déprime existentielle (qui donne lieu à une superbe séquence d'auto-confession), le lien qui se noue entre les deux amis devient leur véritable raison d'être là , avec ces échanges quasi-clandestins de bobines comme seul contact. Jusqu'à l'étonnant dernier plan filmé après la finale par Dhorasoo, où il semble enfin griser par la caméra... Dhorasoo : «À ce moment-là , je sais qu'on fait un film, je veux finir, je fais mes derniers plans. Et l'équipe de France, c'est fini pour moi aussi...». Poulet : «J'ai ressenti aussi ça au montage, l'envie de filmer de Vikash dans ce plan, la manière dont il passe sur les gens, dont il assume le cadre...». Dhorasoo est alors un peu devenu cinéaste, et Poulet n'est plus que son remplaçant. On appelle ça un transfert - en psychanalyse, pas au foot !Substitutede Fred Poulet et Vikash Dhorasoo (Fr, 1h10)