La Vie des autres

Mercredi 7 février 2007

Radioscopie romanesque des dernières années de la STASI dans l'ex-RDA, La Vie des autres est un film de réconciliation, brillamment conduit mais tenté en permanence par le manichéisme et la simplification.Christophe Chabert

L'Allemagne ouvre les noires archives de sa moitié Est et son cinéma s'empresse d'en faire des films ; c'est la figure finale de La Vie des autres, première réalisation de Florian Henckel von Donnersmarck, déjà glorifiée par plusieurs Lolas (les Césars européens) et en lice pour l'Oscar du meilleur film étranger. On y termine le nez dans les piles de rapports d'écoute, longtemps après la chute du mur, en pleine transparence après des années d'opacité. Tardive accréditation d'un réalisme que personne ne mettra en doute tant le film prend un soin maniaque à disséquer les méthodes terrifiantes pratiquées par la STASI dans l'ancienne RDA... Ce dernier mouvement est aussi celui où le cinéaste mène à son terme l'ambition réconciliatrice qui l'anime. Car La Vie des autres ne cherche pas à remuer la merde, et si la plupart des communistes du film sont de belles ordures, son «héros» effectue un parcours de l'ombre à la lumière dont le schématisme est un peu raide.De Eichman en SchindlerCe héros-là, Wiesler, commence par faire démonstration de son talent : il pratique les interrogatoires politiques qui visent à faire avouer des suspects, et donne même des cours pour transmettre ses règles à de futurs tortionnaires. La froideur implacable avec laquelle Wiesler transforme la vérité en mensonge par une série d'axiomes pseudo-scientifiques est cinématographiquement fascinante et moralement infernale ; petit fonctionnaire gris et misérable, il est un génie de l'espionnage invisible, un super-héros du mal, un Eichman rouge. Mais quand on lui demande de se pencher sur un couple de théâtreux (lui l'auteur, elle l'actrice) a priori au-dessus de tout soupçon, donc, selon sa logique kafkaïenne, fatalement suspect, le voilà qui se met à avoir des sentiments ! C'est la part la plus dure à avaler de La Vie des autres : narrativement, malgré la beauté de Martina Gedeck, le coup de foudre est un rien forcé... Plus grave, Wiesler ne se révolte pas contre le système en découvrant son injustice, mais juste pour éponger de bien personnelles frustrations. Passer d'Eichman à Schindler en moins de deux heures, c'est quand même osé ! C'est le prix du discours œcuménique et fédérateur du cinéaste, qui l'oblige à laisser de côté quelques personnages beaucoup plus pertinents, comme le camarade d'écoute de Wiesler, gros bœuf débile qui ne comprend rien aux trafics de son collègue. Et si c'était ça, les anciens pays de l'Est ? Des aveugles espionnés par des idiots ? Mais ce serait un autre film, plus bordéliquement drôle et moins brillamment académique ; plus roumain qu'allemand, peut-être...La Vie des autresde Florian Henckel von Donnersmarck (Allemagne, 2h17) avec Thomas Thieme, Ulrich Mühe, Martian Gedeck...