12h08 à l'est de Bucarest

Mercredi 24 janvier 2007

A-t-on, oui ou non, fait la révolution dans le trou du cul de la Roumanie ? Une fausse émission de télé fait le point sur la question dans un film vraiment drôle de Corneliu Porumboiu.CC

C'est bientôt Noël en Roumanie. L'occasion non seulement de se trouver un costume rouge, une fausse barbe et quelques pétards, mais aussi de célébrer un autre anniversaire : celui de la chute de Ceaucescu. Dans une petite ville grise où l'on n'a pas franchement envie d'aller faire du tourisme, c'est la télé qui se charge de la commémoration : un animateur plutôt rugueux organise un débat pour savoir si, oui ou non, il y a eu une Révolution ce jour-là dans ce coin perdu de la province roumaine. Pour le savoir, il a convoqué deux témoins : l'un prétendant avoir, avec ses camarades professeurs, manifesté avant l'annonce officielle du retrait du dictateur ; l'autre qui n'a rien à voir avec tout ça, puisqu'il s'agit juste d'un petit vieux trouvé à la dernière minute pour remplacer l'invité envisagé au départ.La (demi) heure de (presque) vérité12h08 à l'est de Bucarest commence par une série de plans-séquences fixes très cinéma d'auteur mondial, petits gags pince-sans-rire hérités de Kaurismaki, Suleiman et consorts. Mais le cinéaste peut ainsi poser ses trois personnages dans la durée, avant de les réunir dans ce qui constitue le cœur battant et hilarant du film, l'émission de télévision en question. Rupture de style : Porumboiu adopte alors l'approximation des cadres et du découpage de cette télé amateur qui ferait passer TLM pour TF1, où le caméraman se fait rappeler à l'ordre en direct, quand ce n'est pas sa main qui surgit sous la table pour arracher des mains de l'invité une feuille de papier trop bruyante. Commence alors ce qui est un très grand moment de cinéma : les spectateurs appellent pour remettre en question la version du soi-disant révolutionnaire, prétendant qu'il n'est qu'un alcoolique opportuniste. Moment glacial : un certain Blajen, mis en cause comme membre de la securitate, rectifie en direct d'une voix glaciale cette version, menace de faire un procès et se présente comme un honnête chef d'entreprise. Le présentateur se couche, révélant au passage que lui non plus n'a pas forcément été très clair avec le régime de l'époque. Finalement, dans la pagaille de l'émission qui vire à l'interrogatoire politique, c'est le portrait d'une Roumanie flippante qui se dégage, où les plaies de l'Histoire sont loin d'être refermées, et où les enfoirés communistes d'hier sont devenus les ordures capitalistes d'aujourd'hui. Au milieu, ceux qui se sont fait baisés avant 89 se font toujours baiser en 2005 ! Discours amer et mélancolique qui pourtant se loge dans un film souvent à hurler de rire : là est le tour de force ! Un dernier mot : sous ses atours modestes, 12h08 à l'est de Bucarest en dit plus sur les ex-pays de l'Est qu'une fresque brillante mais assez faux-cul comme La Vie des autres, qui sortira le mois prochain auréolée de toutes les distinctions européennes...12h08 à l'est de Bucarestde Corneliu Porumboiu (Roumanie, 1h29) avec Mircea Andreeseu, Teo Corban...