Paprika
Satoshi Kon, l'un des plus talentueux réalisateurs de films d'animation japonais, nous a livré en cadeau de Noël son film le plus abouti. Ça méritait bien un rattrapage.François Cau
«Les rêves nocturnes sont des courts-métrages artistiques, les rêves matinaux des longs-métrages de divertissement». Cette phrase tombe au bout de cinq minutes d'une intro ébouriffante, où l'un des personnages principaux de Paprika s'est engagé dans une course-poursuite onirique résumant le film à venir - un mix particulièrement osé entre claque artistique et pur divertissement (l'animation, littéralement monstrueuse, en remontrerait presque à Miyazaki lors des séquences de la "parade"). Le fil narratif (le vol d'une machine permettant de contrôler les rêves) autorise son auteur à prolonger ses travaux précédents, et donc à rétrécir les frontières entre fantasmes et réalités. À ce titre, il est clair qu'avoir vu ses œuvres précédentes (au moins la stupéfiante série Paranoïa Agent) fournit un sésame de poids pour entrer dans ce maelström esthétique. Satoshi Kon verse à plusieurs reprises dans l'autocitation, non pas par pure complaisance, mais plutôt pour aiguiller le spectateur, et lui dévoiler son dessein cathartique : faire exploser l'imaginaire de ses personnages (et le sien par la même occasion), titiller leur potentiel onirique pour accentuer leurs fêlures, et enfin les libérer dans un déferlement final des plus chaotiques, où le désir de pouvoir et de destruction sera enfin canalisé de façon pour le moins inattendue. L'épice manquanteLoin de se reposer sur ses bouillonnants acquis, Satoshi Kon mélange une intrigue reflétant parfaitement son univers graphique tortueux à des éléments à même de séduire le plus grand nombre. Le fait qu'il intègre pour la première fois le casting vocal d'une de ses œuvres n'est d'ailleurs pas anodin, le rôle qu'il s'attribue encore moins (un serveur du bar Radioclub, le lieu de transition entre les deux mondes). Un clin d'œil nous poussant à affirmer que le film, déclaration d'amour continue au cinéma et à l'imaginaire, est l'aboutissement parfait de son cheminement artistique. Même si l'on a une foi absolue en son auteur depuis son premier long, Paprika est un bijou inespéré dans le paysage d'une animation nippone en pleine ébullition (si vous le pouvez, jetez donc un œil effaré au Mind Game de Masaaki Yuasa). Un trip irrésistible, gorgé de digressions prolongeant l'expérience de façon jouissive. Un émerveillement continu de la rétine, nous confirmant une nouvelle fois que le Japon est LE pays de référence dans le domaine de l'animation. Oh, et si vous suspectez les rédacteurs du PB de complaisance douteuse avec tout ce qui vient d'Asie, nous vous enjoignons cordialement à enchaîner The Host et Paprika, et à venir nous en recauser après. Paprikade Satoshi Kon (Japon, 1h30) animation