Le Grand Appartement

Mardi 3 janvier 2006

Dans un joyeux bordel, Pascal Thomas propose une utopie aux larges échos autobiographiques, où il est question de cinéma, de politique et de liberté.Christophe Chabert

Bien qu'amoureux de longue date du cinéma de Pascal Thomas, il faut avouer son étonnement à la vision du Grand appartement, film fou, insensé d'un réalisateur qui n'a jamais si peu organisé le chaos qui lui sert de mise en scène. Car si Thomas a toujours cherché à peindre la société française, on ne l'imaginait pas faire un film aussi joyeux et impertinent sur notre monde, ses angoisses et ses renoncements. Grande œuvre allergique à toute forme de bourgeoisie (celle du cinéaste qui rend un travail propret comme celle d'une caste qui voue à la propriété et à l'individualisme un culte fanatique...), Le Grand Appartement propose une utopie, celle qui donne son titre au film : ici s'entassent un couple jeune et frais (Mathieu Amalric et surtout Laetitia Casta, divine surprise du casting !), un vieux cinéaste (Pierre Arditi), ses bobines et sa table de montage, et puis une grand-mère, une sœur, une gamine et ses copines, des maîtresses... Loyer bloqué par la loi de 48 et menace d'expulsion, dèche financière et adultère dissimulé et défense du petit café du coin : les pistes aussi s'entassent dans le film ; Pascal Thomas veille à n'en faire aboutir aucune.Le désordre justeLa liberté est le maître-mot du Grand appartement : liberté de s'adresser à la caméra, de se foutre à poil quand bon nous semble, de ne pas se raser sous les bras, de dire non à la bancarisation de la société, de passer d'une fille à l'autre, d'aller prendre des leçons de protection sociale chez une famille noire ou de faire la leçon à un jeune paumé qui rêve d'entrer dans Al-Qaïda... Liberté surtout de ne pas cacher sa nostalgie pour le temps passé. Mais que nous dit Pascal Thomas sur ce temps-là ? Qu'à l'époque, on n'avait peur ni du regard de l'autre, ni de son corps ; que l'insouciance ne voulait pas dire que tout allait bien mais qu'on s'arrangeait avec ce bordel éternel qu'est l'existence plutôt que de le fuir ou de le nier. En gros, que le désordre était préférable à l'ordre ! Une réplique du film est d'ailleurs sidérante de culot : la grand-mère de Francesca lui dit qu'avoir un amant, pour elle, c'était tout naturel, et que «votre génération est beaucoup moins audacieuse que la nôtre». Confession finale d'un film qui, par ailleurs, ne cache pas ses racines autobiographiques : Amalric est un double de Pascal Thomas jeune et Arditi joue tout simplement le rôle de Jacques Rozier, réalisateur mythique de Maine Océan et Adieu Philippine. Plus qu'un clin-d'œil pour cinéphiles, ces transparences rappellent que les grands cinéastes sont ceux qui ne font pas la différence entre les films et la vie, entre la passion de l'art et la jouissance de l'instant. Le Grand appartement est simplement une ode libertaire à la générosité.Le Grand appartementde Pascal Thomas (Fr, 1h47) avec Mathieu Amalric, Laetitia Casta...Sortie le 27 décembre