Hors de prix

Mercredi 20 décembre 2006

Pierre Salvadori signe son meilleur film avec cette comédie enlevée sur un sujet pour le moins grave : la marchandisation de l'être humain.Christophe Chabert

Comment coucher avec une fille sublime quand on est un timide introverti aliéné par son travail ? Comment vivre dans le luxe quand on est une jeune prolotte qui n'a rien à offrir sinon sa plastique aguichante ? Quiproquo initial de Hors de prix : tandis que l'un réalise son rêve, l'autre le met en péril. Jean, homme à tout faire dans les palaces, croise par hasard Irène, petite garce arriviste qui plume des millionnaires vieillissants pour mener la vie de château. Elle le prend pour un playboy oisif, il la croit fille à papa. Ils se retrouveront quelques mois après cette nuit, rejoueront la scène mais, cette fois, enclencheront une mécanique comique dont ils seront plus souvent les victimes que les acteurs. Irène d'abord : son richard la laisse en plan ; Jean ensuite : elle décide de se venger et de lui faire dépenser jusqu'à son dernier cent. La comédie se nourrit avec vivacité de ces allers-retours, mais surtout permet de poser les bases du propos : dans un monde où le paraître et l'avoir font la loi, la valeur humaine n'est plus qu'une valeur marchande. Rétamés, Jean et Irène n'ont plus qu'un objectif : faire monter leur prix sur le marché sentimental, sachant que, comme en Bourse, l'important n'est pas la valeur réelle, mais la valeur supposée aux yeux de ceux qui achètent. Un discours qui, malgré le caractère hilarant des situations (et le charme absolu du couple qui les incarne : Gad Elmaleh, burlesque sans en rajouter, et Audrey Tautou, craquante comme jamais dans son rôle de garce sexy), fait froid dans le dos et serre régulièrement les tripes.Salavori rit, Salvadori pleure
Salvadori a toujours «mis du noir dans le rose», selon l'expression de Pascal Thomas. Mais les comédies douces-amères de ses débuts ont laissé la place depuis son seul film dramatique (Les Marchands de sable), à un cinéma à la fois plus grave et plus franchement burlesque. Si Après vous, comédie sur le suicide et la dépression, le soulignait un peu trop par le Paris gris et triste qui lui servait de décor, Hors de prix ne fait jamais entrer la noirceur qu'en contrebande, les ors de la comédie étant toujours au premier plan (notamment la Côte d'Azur et ses lumières naturelles ou artificielles). Et la mise en scène, qui ose la comparaison avec Wilder (on pense à La Garçonnière) ou Lubitsch (des ellipses et des détails plutôt que des explications : comptez les bretelles de la robe d'Audrey Tautou, par exemple...) n'est que grâce et légèreté. Pourtant, c'est l'intégrité absolue du discours qui impressionne ; comme chez Marivaux, les pauvres restent avec les pauvres et si l'amour peut advenir, c'est aussi parce que les tourtereaux finissent complètement à sec. Pierre Salvadori signe donc ici son meilleur film, la seule comédie française qui cette année peut prétendre tutoyer le néo-slapstick américain ou le romantisme à l'Anglaise.Hors de prix
de Pierre Salvadori (Fr, 1h43) avec Gad Elmaleh, Audrey Tautou...