Powell, voyeur et visionnaire

Mercredi 20 décembre 2006

L'Institut Lumière continue son superbe travail d'édition DVD autour de l'œuvre de Michael Powell avec la sortie de trois nouveaux titres, dont le transgressif Le Voyeur.Christophe Chabert

Après quatre premiers titres aussi importants dans leur contenu que pour la rédecouverte de l'œuvre de Michael Powell et Emeric Pressburger, l'Institut Lumière lance une deuxième salve de DVD : trois films réunis dans un coffret qui a son avantage et son inconvénient. L'inconvénient, c'est la présence de A Canterbury tale, un inédit de Powel et Pressburger, le genre de trucs très prisés par les cinéphiles mais dont l'honnêteté oblige à dire qu'il est de loin le moins bon des sept proposés jusqu'ici. L'avantage, c'est que seul ce coffret propose Le Voyeur, et ce pour des questions de droits d'exploitation vidéo, les deux autres films étant, eux, aussi vendus à l'unité. Le pour et le contre pesés, il faut à nouveau souligner l'excellence des bonus qui accompagnent chaque film : l'interview au long cours entre Bertrand Tavernier et Thelma Schoonmaker, monteuse et épouse de Powell, dont les commentaires à la fois intimes et éclairés sont fascinants. L'ami Tatave paie aussi son analyse, et c'est vrai qu'à ce petit jeu, le garçon n'est pas maladroit... Plus inattendu, le commentaire du marin Roland Jourdain sur le réalisme de Je sais où je vais, et celui, génial, de l'affreusement gentil Gaspar Noé sur Le Voyeur. Enfin, ce même Voyeur a droit à un passionnant documentaire anglais sur le massacre critique dont le film fut victime à sa sortie, et qui condamna prématurément la carrière de Michael Powell.Qui verra mourraRevenons à Je sais où je vais... En 1945, on demande à Powell et Pressburger de faire un peu de retape contre les dangers du matérialisme qui sévit après-guerre, et ils se retrouvent à tourner sur les rudes côtes écossaises ce mélodrame qui, en définitive, s'affranchit des doléances étatiques de départ. Déjà, parce que Powell tombe raide dingue des lieux qu'il filme ; ensuite parce que le scénario, qui voit une petite arriviste arranger un mariage avec un riche industriel reclus sur une île au climat hostile, puis découvrir que l'argent ne fait pas tout, se fait doubler par une mise en scène d'une modernité étonnante. Powell est réellement un maître du montage, ses surimpressions et ses fondus enchaînés sont éblouissants, le film devenant souvent un grand rébus d'images entre expressionnisme et impressionnisme. Faussement léger et pas du tout mineur, Je sais où je vais est la grande surprise de ce coffret. Mais son véritable événement, c'est la réédition du Voyeur. Déjà, le film est toujours aussi dérangeant, puisqu'il met tout le monde dos au mur : cet assassin avec sa caméra phallique, c'est le spectateur qui va au cinéma pour jouir d'un spectacle, et aussi le metteur en scène qui invente ce spectacle. Comme il est donc à la fois Powell, homme de goût (il faut voir la beauté des couleurs et la précision des cadres) et nous, gens intelligents, ce tueur sera doux, calme, timide, touchant... Influencé par M le maudit, Powell a eu cette audace fatale de réaliser un film qui transgresse les règles de représentation et la morale de son temps ; une audace qu'il a payée cher...Coffret Michael Powell. A Canterbury Tale, Je sais où je vais et Le Voyeur (Institut Lumière)