Sonatines et requiems

Mercredi 13 décembre 2006

Rétrospective de l'œuvre de Takeshi Kitano à l'Institut Lumière. Ascétisme, violence, contemplation et action sont les pulsions contradictoires d'un cinéaste qui adore brouiller les pistes.CC

Photo : Aniki mon frère

Si l'Institut Lumière propose une rétrospective Kitano, il faut signaler que c'est le réalisateur lui-même qui se l'est offerte cette année avec cet autoportrait cubiste qu'est Takeshi's. Enfin, cubiste, quand le modèle a un peu la gueule de traviole et une personnalité de cinéaste elle-même pleine de facettes... Comique télévisuel sous le nom de Beat Takeshi dans une vie antérieure qui n'a jamais passé les frontières japonaises, on le découvre en France avec cet uppercut cinématographique qu'est Sonatine : l'odyssée d'une troupe de yakuzas fuyant la guerre des gangs sur une plage où ils passent une moitié de film à se faire des blagues et à se tirer dessus avec des feux d'artifices. Ensuite, bang-bang, tout le monde meurt sauf Kitano. Il va ensuite régler placidement ses comptes en ville, liquidant l'intégralité de la pègre en quelques éclairs de mitraillettes qui rappellent les fusées pour rire de ses lieutenants en vacances. «Quelle mauvaise plaisanterie...», dit un gars au milieu du film, après s'être pris un pruneau dans le buffet. Sonatine, c'est un scénario de John Woo dialogué par Beckett et filmé par Melville...Gerbes de feu et de sangFlashback : quelques années avant, Kitano se la joue Dirty Harry dans le bien-nommé Violent Cop, entrée en cinéma radicale où le Beat de Takeshi vire au coup de boule (mais aussi de poing, de flingue, de couteau : tout ce qui provoque une hémorragie...). Ensuite, il passe de l'autre côté de la loi avec Jugatsu, brouillon de Sonatine qu'on peut juger plus étonnant, car Kitano s'y donne un second rôle de yakuza, le premier étant laissé à un adolescent en échec scolaire, social et affectif, tenté par le crime organisé. La fin, énigmatique, laisse encore un espoir qui disparaîtra dans Hana-Bi, film de la reconnaissance internationale : un ex-flic en chaise roulante peint des tableaux face à la mer, jusqu'à sa dernière toile, une gerbe de sang suicidaire ; un autre part avec sa femme malade pour un dernier voyage, la pègre aux fesses et la mort dans l'âme. Plastiquement sublime, émotionnellement imparable : Hana-Bi est une acmé dont on ne peut que redescendre. Kitano casse alors son image avec le cucul L'Été de Kikujiro, puis la rétablit avec Aniki mon frère, remake américain plaisant de tous ses films noirs précédents. Il est temps pour lui de creuser le sillon social qu'il n'avait qu'effleuré auparavant, le temps de deux très beaux films, Kids return (l'histoire de deux ados amis pour qui la société décide de destins opposés) et A scene at the sea (comédie contemplative sur deux sourds-muets adeptes du surf) : ce sera l'emmerdant Dolls et ses trois histoires entre j'm'en foutisme et esthétisme poseur. Puis vint le plus réussi Zatoïchi, où Kitano endosse la tenue du légendaire samouraï aveugle pour un film entre hommage et parodie, chorégraphies classiques et effets numériques. Une facette inédite de ce super-auteur qui rêve de n'en être pas un...Rétrospective Takeshi KitanoÀ l'Institut LumièreJusqu'au 27 décembre