Red road
Une femme traque à travers des écrans de vidéosurveillance le meurtrier de sa famille récemment libéré de prison : un premier film fort et dérangeant d'Andrea Arnold.Christophe Chabert
Noël approche, et ne vous rassurez pas, il y a autre chose à voir sur les écrans que des films d'animations interdis aux plus de 12 ans ; il y a encore (pendant combien de temps ?) des œuvres qui reflètent l'inquiétude du monde contemporain, qui bousculent les certitudes des spectateurs et en définitive durent plus longtemps qu'un seau de pop-corn. Avant le glacial Requiem la semaine prochaine, c'est une autre révélation européenne qui joue le rôle de trouble-fêtes. Prix spécial du jury à Cannes (à peu près la seule récompense méritée du festival !), le premier film d'Andrea Arnold s'inscrit dans la lignée des œuvres de Lodge Kerrigan (Clean Shaven, Claire Dolan et Keane) : Jackie travaille dans un bureau de vidéo-surveillance à Glasgow, hantée par le deuil impossible de sa fille et de son mari. C'est sur un de ses écrans qu'elle voit réapparaître le meurtrier, en libération conditionnelle et installé dans une barre d'immeuble pour anciens taulards. Elle attend qu'il commette un faux-pas, mais celui-ci tarde à venir...Surveiller sans punirL'aspect artificiel de la situation (il est vrai assez improbable) est vite oublié car Andrea Arnold plonge le spectateur au cœur de l'obsession du personnage. Notamment grâce à ces fameux écrans : Jackie prélève dans cette réalité plate ce qui l'intéresse, donc seulement ce qui concerne sa «cible», quitte à oublier les vrais drames qui se déroulent hors champ. Belle idée de cinéma : la vidéo-surveillance n'est pas neutre, elle est aussi une forme de mise en scène, une manipulation du réel. Arnold n'a plus qu'à appliquer à son héroïne la même technique : on a beau ne pas la quitter des yeux (caméra à l'épaule, longues focales où la mise au point est faite sur elle...), les motivations de ses actes nous échappent. Cette énigme se ressent beaucoup dans l'approche particulièrement troublante de la sexualité : du petit coup vite fait mal fait avec un collègue de travail dans une voiture jusqu'à la jouissance ressentie dans une des dernières scènes, Jackie s'éveille au plaisir au fur et à mesure qu'elle touche du doigt sa vengeance. Là où Red Road surprend, c'est aussi par la capacité de la réalisatrice à capter un état du monde, un climat d'angoisse et de tristesse qui est autant la conséquence d'une urbanité déprimante (la manière de filmer Glasgow est absolument étonnante) que d'une profonde glaciation des rapports humains. Comme souvent dans le cinéma britannique, la vérité surgit à chaque instant du film, ce qui permet aussi d'avaler l'optimisme final, amené avec une pudeur et une délicatesse qui laisse à penser qu'on reparlera très vite d'Andrea Arnold...Red Roadd'Andrea Arnold (Ecosse, 1h53) avec Kate Dickie, Tony Curran...