The Host
Film d'horreur, comédie, mélodrame, réflexion politique : le film de Bong Joon-ho est tout ça, mais c'est surtout un modèle de cinéma populaire et ambitieux.Christophe Chabert
Un cadre va se jeter d'un pont, contemplant une eau noire évoquant l'abîme de désespoir dans lequel il s'enfonce ; deux pêcheurs attrapent une bestiole minuscule mais vorace qui mord l'un d'entre eux ; une famille vend des calamars frits au bord d'une rivière et assiste à l'attaque d'un monstre géant qui dévaste tout sur son passage. Quel lien uni ces trois événements qui constituent le premier quart d'heure de The Host ? Lecture littérale : le cadre suicidé provoque une réaction en chaîne, donnant naissance à une créature mutante qui grandit et atteint une taille monstrueuse. Deuxième lecture : dans un mouvement narratif stupéfiant, Bong Joon-ho met sur la même rive et au même niveau de détresse toute la société coréenne, du nanti dépressif aux travailleurs pauvres. Dernière lecture : après l'échec tragique de l'individualisme urbain, une famille dans la dèche mais solidaire devient la seule et incertaine réponse à une menace extérieure (qui peut prendre bien des formes). Gardez cette triple lecture en tête et vous êtes prêts pour cette tuerie absolue qu'est The Host.Les Zozos à la chasse au monstreLe monstre enlève la fille de la famille et la retient prisonnière au fond de son antre, représentation viscérale des poubelles urbaines d'un Séoul flippant. Premier changement de registre : lors d'une séquence très inconfortable, le père, la sœur, le frère et le grand-père fondent en larmes devant le portrait de l'enfant affiché dans la chapelle ardente. Mais leurs sanglots sont si grotesques qu'on a envie d'en rire. C'est en fait le but recherché, car Bong Joon-ho ne veut pas seulement tenir le cahier des charges d'un film d'horreur lambda (mais avec une bestiole extraordinairement crédible, dont les déplacements chorégraphiés et gracieux sont pour beaucoup dans la réussite de The Host) ; il veut aussi suivre les aventures picaresques de cette famille de débiles sortie des meilleures comédies italiennes. Le burlesque s'invite donc dans The Host, mais il n'y a pas que lui. À la faveur d'une alerte au virus, l'Amérique arrogante débarque à son tour : tandis que l'armée se fait cuire des brochettes dehors, les scientifiques mènent leurs tests sans le moindre souci d'humanité. Et voilà la charge politique qui se profile à l'horizon... Pendant ce temps-là , les neuneus chassent le monstre (rires) qui vomit des ossements humains sur leur fille prisonnière (horreur) qui tente de communiquer à l'aide d'un portable avec l'extérieur (suspense) qui n'en a rien foutre de tout ce pataquès (politique)... À ce degré de mélange, on peut redouter l'indigestion ; mais le cinéaste, par une maîtrise visuelle et narrative hallucinante, maintient jusqu'au bout la cohérence absolue de son projet. The Host, c'est à la fois un blockbuster populaire (plus gros succès au box-office sud-coréen !) et le manifeste personnel d'un metteur en scène à la verve caustique et au culot insensé.The Hostde Bong Joon-Ho (Corée du Sud, 1h55) avec Song Kang-Ho...