Severance

Mercredi 25 octobre 2006

Imaginez les personnages de «The Office» dans un remake de «Délivrance» : après Creep, Christopher Smith réalise une satire gore et réjouissante du monde contemporain.Christophe Chabert

Pour son deuxième film, Christopher Smith prend un sacré risque : ce qu'on aimait dans son précédent Creep, où une jetsetteuse égoïste était poursuivie par un monstre humain, trop humain, et vivait l'enfer dans le métro londonien, c'était le sérieux avec lequel il renouvelait les codes du film d'horreur. Ça foutait les jetons, quoi ! Or, dans les premières scènes de Severance, Smith opte résolument pour la comédie avec du sang dedans. Quand il pose sa caméra dans un bus affrété par l'entreprise Palisade defense, fournisseur d'armes aux quatre coins de la planète, et y place une tribu de cadres se dirigeant vers la Hongrie pour un stage de «consolidation d'équipe», le cinéaste préfère le gag au gore, le burlesque au funeste. Ça ne durera pas, car à la mi-temps du film, quand les costards-cravates deviendront la cible de Hongrois masqués aux motivations obscures, Smith ressortira son savoir-faire en matière d'horreur viscérale.Paintball à GuantanamoComment négocier un tel cocktail alors que le second degré a, dans les années 80 et 90, littéralement ravagé le cinéma de genre, en le déréalisant et le dédramatisant ? Smith apporte assez vite une réponse crédible : Severance n'est ni une comédie, ni un film d'horreur, c'est une satire politique avec de la férocité dedans. Comme dans tout bon survival, les tueurs finiront par être dépassés dans la barbarie par leurs proies ; mais ici, les choses ont une toute autre saveur. Car cette Europe de l'Est est décrite comme le dépotoir de l'Occident, qui y déverse ses armes, va y chercher ses putes et y planifie ses loisirs avec arrogance et mépris. Le retour de bâton n'est que la reproduction sauvage des mêmes processus : les armes sont siglées Palisade, et la traque a la même dimension ludique qu'une partie de paintball, mais avec de vraies balles qui tuent pour de bon. Comme dans le récent Hostel, avec lequel Severance a de nombreux points communs, les souvenirs de l'Histoire ancienne ou contemporaine (des camps de la mort aux tortures de Guantanamo en passant par la guerilla irakienne) hantent le film sans pour autant sombrer dans l'ambiguïté ou la démagogie (et là Smith est plus pertinent qu'Eli Roth). Mais Severance confirme surtout le plaisir avec lequel ce tout jeune réalisateur fabrique du cinéma : sa manière de détourner son média le temps de trois petits films (un faux muet, un faux docu et un Austin Powers sauce Balkan) ou de renverser les clichés afin de produire des gags macabres d'une efficacité redoutable permettent de mesurer l'étendue de son talent. Severance est le film fun et néanmoins responsable qu'on attendait depuis longtemps !Severancede Christopher Smith (Ang, 1h37) avec Tim McInnerny, Laura Harris...