Rochant contrechamp

Mercredi 25 octobre 2006

Emblématique de la difficulté actuelle avec laquelle les cinéastes français poursuivent une œuvre personnelle, Eric Rochant tente avec L'École pour tous de relancer une carrière en roue libre depuis 10 ans.CC

On avait un peu oublié Éric Rochant... Constat cruel pour celui qui est à l'origine du renouveau d'un cinéma français qui s'encroûtait, à l'orée des années 90, dans les téléfilms desséchés. Avec Un monde sans pitié, il inventait un corps, un langage et des situations enfin synchrones avec leur époque et ouvrait la porte à une flopée de jeunes cinéastes. Il a eu ce mérite de partir le premier, lui qui, avec Desplechin, Eric Barbier et Pascale Ferran forment la dernière génération IDHEC avant que l'école ne devienne la FEMIS. Quinze ans après, le bilan est maigre : Pascale Ferran et Eric Barbier auront réalisé à peine trois films, Desplechin, plus ambitieux mais tout aussi prudent, cherche les deniers pour adapter Philip Roth... Quant à Rochant, il a été vite gâté (le surprenant Aux yeux du monde, puis un ambitieux thriller d'espionnage, Les Patriotes, son meilleur film), mais aussi rapidement ramené sur terre. Une fantaisie onirique ratée (Anna Oz), une comédie politique bancale (Vive la république) et un film d'action impersonnel (Total Western) : trois échecs sur une pente artistique descendante !Rochant du cygne ?Il tente alors de monter ce qu'il décrit comme «un film sur la Résistance du point de vue des femmes. On avait fait les repérages à Lyon, on avait un casting [Virginie Ledoyen, Kristin Scott Thomas, Cécile de France et Marie Gillain, NdlR], et au dernier moment, on n'a pas pu boucler le budget. Ça m'a pris trois ans, c'était un gros truc. Je suis rentré dans le club des réalisateurs avec un projet avorté». Un club qui comprend, parmi les exemples récents, des noms aussi différents que Philippe Harel ou Pascal Thomas... Rochant fait le même choix qu'eux : se remettre en selle avec «un projet plus léger dans sa fabrication et son sujet. La comédie s'est imposée, mais comme je n'ai pas une âme de militant, j'ai surtout voulu faire une comédie d'imposture, plus qu'une comédie sur l'école». Manière de raccrocher le film à sa propre biographie : à ses débuts, il faisait le chef-op' sur les tournages des autres sans avoir la moindre notion en la matière... Est-ce un écho lointain de cette anecdote, mais L'École pour tous sent le film réalisé à l'aveugle. Des Patriotes à Total Western, pour le meilleur ou pour le pire, Rochant chiadait la direction artistique de ses films. Rien de tel ici, où tout est à peu près grisâtre, approximatif. Sur le fond, si Rochant cite en modèle Bienvenue Mister Chance, on pense plutôt à une comédie de Capra relue par Adam Sandler : la fable du gentil naïf qui incarne la voix du peuple contre les institutions sourdes, mis à la sauce actuelle. Mais on sait Rochant trop intelligent pour ne pas connaître les limites de son propre film... La preuve, quand on lui demande la nature de son prochain projet, il répond : «Quelque chose dans la lignée des Patriotes...» Du sérieux, quoi !