Le Cas Lumet

Mercredi 20 septembre 2006

81 bougies au compteur, le vétéran Sidney Lumet réalise avec Jugez-moi coupable son meilleur film depuis 15 ans. Retour sur la carrière d'un artisan essentiel du cinéma américain.Christophe Chabert

Dans l'entretien qu'il nous a accordé (à lire en dernière page), l'excellent Jean-Baptiste Thoret dit que le cinéma des années 70 a permis à des cinéastes mineurs de réaliser leurs meilleurs films. Et il ajoute qu'au tournant des années 80, bien peu ont réussi à garder le cap et sont vite redescendus à leur niveau d'antan. Nul doute que dans cette catégorie se trouve Sidney Lumet, dont les plus grands films éclipsent largement les œuvres ratées. Mais à la différence d'un Pakula, Lumet a eu des coups de génie avant, et même après cette époque glorieuse. Si son dernier film, Jugez-moi coupable, est incomparable avec ses hits d'antan (Un après-midi de chien, Network, Serpico, Le Prince de New-York...), son implication dans l'écriture du scénario prouve qu'il lui tenait plus à cœur que les précédents.Huis-clos engagésLumet vient du théâtre, de l'Actor's studio de Lee Strasberg et du off-Broadway. Dans les années 50, probablement conscient que sa carrière d'acteur ne décollera pas, il se plante derrière une caméra et réalise pour la télé des captations de pièces new-yorkaises à succès. C'est l'une d'entre elles, 12 hommes en colère, qui lui sert de tremplin pour intégrer l'industrie cinématographique. Par son atmosphère tendue, son noir et blanc tranchant et l'interprétation géniale d'Henry Fonda, le film est un classique indémodable, qui témoigne d'un sens de l'espace clos qui fera merveille par la suite dans le cinéma de Lumet, dans un studio de télé (Network), un commissariat (Contre-enquête, The Offence), une banque en plein hold-up (Un après-midi de chien) ou une cour d'assise (Le Verdict). Du théâtre, Lumet garde aussi une attention particulière aux comédiens, au point de s'effacer parfois devant une performance d'acteur ; Serpico est autant un film de Pacino que de Lumet, qui se contente de suivre avec professionnalisme le génie en pleine démonstration. Quant au casting de Network (Faye Dunaway, William Holden, Robert Duvall...), il ne vire miraculeusement jamais au combat de coq sur leurs e(r)go(t)s. Il faut revoir ce film, couronné par une ribambelle d'oscars, pour se rendre compte que Lumet n'a pas la langue et le poing dans sa poche : plus qu'une critique du mercantilisme télévisuel, Network est un pamphlet audacieux contre la mondialisation. D'autres sujets seront traités par le cinéaste avec la même virulence, de la corruption policière (son dada : Serpico, Le Prince de New-York, Contre-enquête...) aux cendres du mouvement hippie (À bout de course, son dernier vrai grand film). Mais ce sont surtout deux films des années 60 qu'il faut absolument redécouvrir, tous les deux avec Sean Connery, en vacances de James Bond. Le premier, Le Gang Anderson, est un film de braquage à la narration alambiquée, ludique et réjouissante ; le second, The Offence, montre un flic névrotique qui commet une bavure, rentre chez lui, vomit son mal-être sur son épouse avant de devoir affronter ses erreurs face à sa hiérarchie. Un film d'une noirceur terrible et l'œuvre la plus étrange de cet artisan talentueux.