Volver

Mercredi 24 mai 2006

Après les hommes dans La Mauvaise éducation, revoilà les femmes dans Volver. Quant à Almodóvar, on a un peu le sentiment qu'il s'est perdu entre les deux. Luc Hernandez

Il y a une idée magnifique au cœur de Volver, la seule du film qu'on n'ait encore jamais vraiment vu chez Almodóvar : filmer du point de vue de la mort, en faisant revenir le fantôme d'une mère réapparue pour dévoiler les secrets qui pourraient reconstruire le cœur abîmé des filles qui ont croisé sa route. Avec en prime ce culot naturel qu'on aime chez le réalisateur madrilène, qui consiste à filmer les sentiments les plus contradictoires avec la même vitalité. Avec Volver, Almodóvar retrouve enfin, un peu, goût à la comédie (jolie séquence du pet posthume !). La présence de la bellissima Carmen Maura, actrice sublimissime capable d'incarner la vieillesse ultime en pointant dans chaque regard sa verve espiègle, n'y est sans doute pas pour rien. Il retrouve aussi l'inspiration prolétaire de Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça (déjà avec Carmen Maura), en tâchant de faire revivre les femmes de son enfance, trois générations de battantes pleines de santé au milieu de la mouise. Les actrices sont splendides (mention spéciale à Lola Dueñas, à l'émotion contenue), et pourtant Volver ne parvient jamais vraiment à trouver sa voie, coincé entre la tragédie solennelle qui habite les films d'Almodóvar depuis Parle avec elle, et l'imagerie pop des premiers Pedro vers laquelle il lorgne sans jamais vraiment oser y retourner.Harem babillardCar le thriller sentimental qu'aurait pu être Volver se résume un peu trop vite à un film de conversations sur de sempiternelles histoires manquées. En guise de thriller, on aboutit à un scénario emberlificoté (pas un dialogue qui ne révèle un secret, un mensonge, une maladie... jusqu'à la manie) ; et en guise de sentiment, à du linge sale familial qui n'en finit pas de se laver. Plutôt qu'oser une comédie fantomatique, Almodóvar se contente de réchauffer un certain nombre de plats de son auberge espagnole : le viol (Parle avec elle), l'enfance abusée (La Mauvaise éducation), l'émission de télé (Talons aiguilles), le portrait de femmes entre elles (Tout sur ma mère) et le fantôme maternel (La Fleur de mon secret). Plus le gimmick habituel : la chanson qui révèle un personnage (ici Penélope Cruz dans un playback flamenco un peu trop acrobatique pour ses jolies lèvres). Le tout certes avec une belle fluidité de mise en scène, mais totalement dépourvu d'audace visuelle (que des scènes où il filme ses personnages en train de parler). Tout se passe comme si le style et les obsessions personnelles d'Almodóvar faisaient maintenant écran aux émotions plutôt que de les servir. Depuis La Mauvaise éducation, ses films semblent tournés sur eux-mêmes sans sujet véritable (ici la tarte à la crème de l'hommage aux femmes). Avec Parle avec elle, la grande qualité d'Almodóvar était de rendre simple et sensible une histoire chorale. Avec Volver et déjà un peu La Mauvaise éducation, il s'agit plutôt de compliquer inutilement une histoire simple, de tourner autour d'obsession personnelles qui restent malheureusement, pour le coup, un mystère.Volver de Pedro Almodóvar (Esp, 2h01) avec Carmen Maura, Penélope Cruz, Lola Dueñas, Blanca Portillo...