Syriana

Mercredi 1 mars 2006

L'ivresse du pouvoir des Etats-Unis sur fond de guerre du pétrole : Stephen Gaghan se lance dans un thriller géo-politique alambiqué, tout aussi louable que limité. Luc Hernandez

La face cachée de l'empire américain va vraiment finir par se voir, même de Hollywood. Après une gueule de bois traumatique de l'après-11 septembre, interdisant depuis 5 ans tout début de contexte politique ou presque aux films grand public, voilà que le cinéma des grands studios yankees n'en finit plus de dénoncer la corruption et les crimes de l'histoire récente des Etats-Unis. C'était l'armement comme source de profit capitaliste dans Lord of war en début d'année. Puis les abus du pouvoir politique sur les médias dans le superbe Good night, and good luck. de Clooney. Même Spielberg traquait les ambiguïtés de la lutte anti-terroriste dans l'inégal Munich, concluant son film sur un plan du World Trade Center. Voilà qu'avec Syriana (terme, jamais prononcé dans le film, qui désigne le Moyen-Orient tel que le voudrait l'Etat américain), c'est cette fois-ci à la guerre du pétrole que s'attaque Stephen Gaghan pour son deuxième film, après un Abandon déjà oublié en 2002. Ancien scénariste du Traffic de Soderbergh, il en reproduit en bon élève à peu près tous les codes : caméra à l'épaule, illusion documentaire, décors naturels et surtout narration éclatée et casting super-star, George Clooney et Matt Damon en tête. Multipliant les lieux (Londres, Athènes, Beyrouth) et les rôles, Syriana passe son temps à tisser des liens mafieux aux quatre coins du monde, se déployant comme la toile d'araignée invisible de l'empire américain.Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquéAu détriment de l'efficacité du thriller, Gaghan choisit alors d'étaler les couches de scénario. Première intrigue : le prince Nasir choisit de confier les droits de forage du gaz naturel aux chinois plutôt qu'aux Etats-Unis. Pour riposter, Connex, une compagnie texane, choisit d'envoyer un franc-tireur pour rattraper le coup (Matt Damon, impeccablement coiffé). Deuxième piste : la fusion économique de Connex entraîne à l'autre bout de la chaîne le licenciement d'un jeune pakistanais, qui ne trouvera plus que le Dieu des intégristes pour lui offrir un avenir, bien vite repris. Enfin, troisième manœuvre, la meilleure : l'inspecteur de la CIA s'en mêle (Georges Clooney, un bidon de bière à la place du ventre et des hanches en poignées d'amour) pour éliminer le prince Nasir. L'opération foire et le toujours beau Giorgio, même sous la torture, va découvrir le vrai visage des Etats-Unis. Qui trop embrasse mal explique : en choisissant de faire exister trop de personnages et de situations particulières (70 rôles parlants en tout), Gaghan perd une bonne partie de la charge politique qu'il voudrait donner à Syriana. D'autant qu'il semble souvent plus obsédé par la précision du détail (même si une bonne partie des lieux filmés ne sont pas des lieux réels), que par le sens de sa vision. Les quelques scènes en trop de bonne morale familiale façon papa Hollywood ne font qu'ajouter aux limites d'un film par ailleurs incontestablement virtuose.Syrianade Stephen Gaghan (EU, 2h07) avec George Clooney, Matt Damon, Jeffrey Wright...