Clooney, leçon de chose publique

Mercredi 18 janvier 2006

Avec son très beau "Good night, and good luck.", l'acteur-réalisateur se place en tête d'un renouveau du cinéma politique américain, ou plus précisément d'un cinéma qui sait à nouveau regarder le spectateur de manière adulte et responsable.CC

Dans son premier film en tant que réalisateur, Confessions d'un homme dangereux, George Clooney cherchait ses marques. Un peu enfermé dans la construction sophistiquée de son scénariste Charlie Kauffman, encore sous l'influence esthétique de son ami et mentor Steven Soderbergh, l'ancienne star télé d'Urgences prouvait néanmoins deux choses incontestables : son amour pour les acteurs et sa modestie face à un film dont on sentait déjà qu'il racontait beaucoup de choses en transparence sur lui-même. Avec Good night, and good luck., Clooney a cette fois-ci les coudées franches : co-scénariste, coproducteur et surtout centre absolu d'une œuvre extrêmement personnelle. Et ce malgré le fait qu'il se contente de reproduire, entre les quatre murs des studios de CBS, le bras de fer qui opposa en 1953 le présentateur et journaliste Ed Murrow et le sénateur McCarthy, alors en phase finale de sa chasse aux sorcières communistes.Confession d'un homme généreuxD'un côté, l'intégrité faite homme ; de l'autre, la dérive nauséeuse d'une démocratie obsédée par sa survie au point de bafouer ses propres principes. À l'écran, cette opposition est totale : Murrow est incarné par un acteur éblouissant, David Stratthairn, mais ce sont les images (d'archives) du vrai McCarthy qui servent de contrechamp. Judicieux, puisque les deux ne se sont jamais rencontrés, le débat souhaité ayant été refusé par McCarthy, qui se contente d'un droit de réponse enregistré et passablement à côté de la plaque. Mais le propos de Clooney va bien au-delà de cet apparent manichéisme : car ce qui se joue entre les lignes de l'affrontement, c'est aussi la question des sacrifices que chacun est capable d'accepter sans rogner son éthique personnelle. Pour tenir sa posture de journaliste incorruptible, Murrow présente aussi un talk-show vulgaire où il interviewe en faux direct des stars venus faire leur promo ; comme si un combat, aussi noble soit-il, ne pouvait se mener qu'au prix d'un compromis avec le système... Enfin, c'est en faisant corps avec son équipe qu'il peut supporter de se laisser traîner dans la boue par son directeur frileux, puis par un McCarthy qui, de son côté, commence à être isolé au sein du Sénat. C'est là où Clooney en dit beaucoup sur lui-même, sur Hollywood et sur sa propre position d'acteur engagé : sa liberté de critiquer est avant tout une affaire de bande (son amitié avec Soderbergh en est la meilleure preuve) mais c'est aussi un pacte avec l'entertainment. Cette étonnante modestie, cette capacité d'autocritique et cette lucidité face au business cinématographique rendent en définitive crédibles et émouvantes les leçons de Good night, and good luck. Car, comme son héros, Clooney est d'évidence un homme droit et honnête.