Jarhead
En suivant les tribulations dérisoires et désœuvrées d'une poignée de marines pendant la guerre du Golfe, Sam Mendes délivre un message aussi confus qu'attendu, plombé par une mise en scène incertaine.Christophe Chabert
Jarhead sort subrepticement au milieu d'une série de films américains engagés (lire plus bas), accréditant l'idée d'une maturité politique nouvelle chez les cinéastes et scénaristes hollywoodiens. Mais qu'on ne s'y trompe pas : le film de Sam Mendes (American Beauty, certes, mais aussi Les Sentiers de la perdition...) ne bouscule pas grand-chose, alors que son sujet avait quand même quelque chose d'explosif. Revenir sur les lieux de la première guerre du Golfe, alors que l'armée américaine est, 15 ans plus tard, en plein enlisement en Irak, cela laissait tout de même un bel espace de subversion. Si Jarhead ne rate pas l'occasion de souligner l'ironie de la chose (le pétrole comme motivation principale de l'administration américaine, un certain Bush à sa tête - c'est pas le même, bien sûr !, la soi-disant "férocité" des soldats irakiens, la censure des militaires vis-à -vis des médias), il ne se donne guère les moyens cinématographiques de déranger le spectateur.Fioul métal jacketIl faut dire que Mendes débute son film par dix minutes gênantes de pillage en règle du Full Metal Jacket de Stanley Kubrick. Certes, le film fait de la nostalgie trouble du Vietnam par les soldats un de ces gimmicks, et on peut prendre cet "hommage" trop flagrant pour une allégorie façon karaoké. Une séquence (réussie) viendrait même légitimer l'idée : les marines en train de "doubler" la fameuse scène des Walkyries dans Apocalypse now. Le cinéma, une manière de rendre la guerre glamour, romanesque, fun ? Pourquoi pas, et la suite des événements (embarqués pour l'opération "Bouclier du désert" après l'invasion du Koweit, les marines se font chier à mourir en attendant que la guerre arrive jusqu'à eux) pourrait remettre les choses à leur place en discourant sur l'absurdité du conflit. Mais Mendes est un cinéaste approximatif, incapable de développer une forme rigoureuse au-delà des enjeux du scénario, et Jarhead s'enlise autant que ses soldats. Un exemple typique de cette incapacité à faire (dé)coller forme et fond : l'utilisation de la musique, loin d'offrir un contrechamp symbolique ou sociologique au quotidien des soldats, est surtout là pour dynamiser des séquences incroyablement plates, toujours trop longues, en les tirant vers le clip sympa. Bien sûr, quand l'enjeu devient tragique, Mendes calme sa caméra, fait le silence, abuse de ralentis et de plans "émotionnels". Ce déficit de cinéma plombe constamment le film à force de pléonasmes formels : que nous apprend Jarhead en définitive ? Que la guerre, c'est mal parce que ça laisse des traces sur les soldats ? Une leçon qu'on serait prêt à accepter si elle n'avait déjà été démontrée dans une bonne douzaine de films de guerre récents, tous supérieurs à ce brouillon faussement pertinent.Jarheadde Sam Mendes (EU, 1h55) avec Jake Gyllenahal, Jamie Foox, peter Sarsgard...