L'action grippée

Mercredi 14 décembre 2005

Avant de tirer, à l'ombre d'un singe géant, les bilans définitifs de cette année cinématographique un constat s'impose : les blockbusters américains auront peiné dans la côte. Pire : ils se sont une fois de plus faits écraser par la télé.Christophe Chabert

À peine 2 millions d'entrée en bout de course malgré un lancement massif, voilà le sort réservé par les spectateurs français à La Légende de Zorro. Un destin qui aura surtout été marqué par une indifférence absolue, signe d'une lassitude face à un cinéma américain qui a beaucoup de mal à renouveler ses franchises. Les gros films américains cette année n'ont été que cela : remakes, prequels et sequels, passant régulièrement à la trappe au bout de deux semaines d'exploitation avant d'aller rejoindre les rayonnages DVD six mois après. Comble du comble, l'année 2005 s'achève par un nouveau match Harry Potter/Peter Jackson, comme en 2001 et 2002 : l'apprenti-sorcier ouvre le bal début décembre et le démiurge néo-zélandais surenchérit 15 jours plus tard, sans Anneau de pouvoir mais avec un singe de 10 mètres. Même les stratégies marketing n'inventent plus rien, c'est dire le désarroi.La fin des yakayosPlus étonnant, les films eux-mêmes connaissent une phase dépressive. Si la saga Harry Potter croit encore dans la profusion d'aventures narratives, les films d'action n'ont jamais aussi mal porté leur nom. La Guerre des Mondes de Spielberg est plutôt un festival de bras ballants et de jambes à son cou, tandis que le Batman commençant de Christopher Nolan semble plus à l'aise quand il cogite au milieu de crypto-terroristes au Tibet que lorsqu'il doit mettre ce savoir en pratique à coups de mandales. Le choix des acteurs n'y est pas pour rien : Tom Cruise, Christian Bale ou Orlando Bloom n'ont pas franchement la carrure des yakayos (acteurs musclés partout sauf du cerveau) qui assuraient le gros de la production dans les années 90 (de Schwarzenegger à Stallone en passant par tous leurs petits frères débilos). Le héros doit être torturé, venir du peuple, et ne peut plus gagner ses lettres de noblesse à la force de ses poings mais par la justesse de son engagement. Vestige d'une Amérique encore sous le choc du 11 septembre et de ses conséquences, qui ne peut plus engager de fictions patriotiques sans s'échouer dans une dissertation sur l'étendue du désastre. Du coup, c'est une fois de plus la télévision qui tente de résoudre le dilemme en le remettant dans l'ordre : il faudra 17 heures de suspense absolu pour que Jack Bauer, à la fin de la grandiose saison 3 de 24 heures chrono, lâche enfin la pression et laisse couler ses larmes ; il faudra en passer par une catastrophe aérienne filmée avec une maestria inédite pour que la communauté de Lost puisse prétendre à nouveau à l'héroïsme, et que la série s'affirme comme un sommet de tension dramatique. Comme si la télé inventait, en même temps que des récits inédits, des corps susceptibles de créer à nouveau de la mythologie, là où ce cinéma, dont c'était pourtant le but premier, peine aujourd'hui à faire simplement rêver.