Chicken Little
Disney négocie déjà l'après Pixar, et plie l'un de ses artisans les plus atypiques au cahier des charges maison. Le résultat, s'il n'est pas honteux, n'est pas non plus renversant.François Cau
Ce n'est un secret pour personne, le studio Disney doit son salut, cette dernière décennie, aux productions Pixar enfantées en son sein putassier, à ces véritables bijoux défiant toute logique marchande pour réveiller de belles émotions chez un spectateur qu'on oublie de prendre pour un con. De quoi flanquer des complexes irrépressibles à une maison mère enchaînant de son côté les productions lénifiantes, où la laideur de l'animation tire la bourre à l'inanité du propos. Seuls rescapés de ce marasme, deux films animés en 2D ont su élever le studio vers le haut (sans titiller le box-office pour autant) : Lilo & Stitch et le mésestimé Kuzco L'empereur mégalo. C'est le réalisateur de ce dernier long métrage que les pontes de Disney sont allés courtiser, pour donner corps à ce premier essai en 3D sans Pixar. Grand bien leur en a pris, même si l'invariable poids de la production pèse tout au long du film, malgré un souci "un rien" trop affiché de changement. Chicken Little démarre en effet sur une voix-off s'interrogeant benoîtement sur quelle histoire raconter : les premières images du Roi Lion démarrent puis stoppent brutalement ("Non, ça me rappelle quelque chose" décrète la voix-off, "Kimba The White Lion, un manga d'Osamu Tezuka pillé par Disney ?" demande bêtement le spectateur sournois) ; un livre de conte de fées s'ouvrent pour se refermer illico, avant de céder enfin la place à l'histoire de ce petit poulet destiné à enrayer une invasion extraterrestre. Poulet grilléCe début, très fât dans l'auto-ironie, évoque nécessairement Shrek, auquel le film fera de nombreux clins d'yeux thématiques et parfois esthétiques (jusque dans sa bande-son), et témoigne de la volonté de Disney de se donner une image rénovée (bien que toujours encline à dévorer le meilleur du patrimoine animé mondial à ses propres fins). Mais tels les crucifiés à la fin de La Vie de Brian, voyons le bon côté des choses. On retrouve l'humour subtilement décalé et joliment absurde qui faisait la sève de Kuzco, mais dispensé à une juste mesure pour laisser place aux desiderata typiquement "disneyiens" : un message insupportable de lourdeur sur le thème "écoutons nos enfants", des personnages secondaires comiques "trop attachants", et ces foutues chansons et leurs paroles insipides qui traumatisent les oreilles de nos pauvres bambins depuis de trop nombreuses années. D'autant plus énervant que lorsque Mark Dindal livre des scènes libérées de ces diktats narratifs, on penche plutôt du côté d'un divertissement enlevé, où la défiance disparaît à la grâce d'un timing comique impeccable, parvenant même à faire oublier les voix françaises de Lorant Deutsch et Claire Keim. Pour le jeune public, les jeux de cette fin d'année sont faits : Disney continue à se chercher, et le passage à la puberté d'Harry Potter leur ferme l'accès à une œuvre par ailleurs pas très bandante ; on décrètera donc, même sans avoir vu ses dernières aventures, notre Kirikou national vainqueur par abandon. Chicken Little de Mark Dindal (EU, 1h17) animation