Béat face à Béart

Mercredi 7 décembre 2005

Les comédiennes françaises qui allient charme et talent se font rares de nos jours ; Emmanuelle Béart est cette exception-là, et plus encore : une actrice qui a découvert au fil du temps chez elle une véritable fantaisie.Christophe Chabert

Les journalistes sont des scélérats ! La seule fois où ils ont véritablement parlé d'Emmanuelle Béart ces dernières années, c'est lorsqu'elle a fait la provocante couverture de Elle, dévoilant des formes que les cinéphiles savaient généreuses depuis qu'ils les avaient longuement contemplées dans La Belle noiseuse de Jacques Rivette. D'accord, Emmanuelle Béart est belle ; mieux, elle est infiniment désirable. Mais les cinéastes qui l'ont dirigée n'ont guère joué sur cette corde-là. Rivette, donc, la statufiait en une interminable pose érotique, avant d'en faire un fantôme sexuel dans le très chiant Histoire de Marie et Julien. Chabrol, autre rescapé de la Nouvelle Vague, faisait de cette beauté voluptueuse le trou noir qui aspirait François Cluzet et sa jalousie destructrice dans L'Enfer. Ironie ou clin d'œil ? 10 ans plus tard, c'est dans un autre Enfer, celui de Danis Tanovic, que Béart se retrouve prise à son propre piège : femme trompée, femme jalouse, femme en chute libre, incapable de réveiller le désir d'un mari qui préfère de fades jeunes mannequins. Résumé d'une époque qui élit d'élégantes potiches style Anna Mouglalis ou des mademoiselle tout-le-monde type Testud ou Kiberlain plutôt que des femmes qui ont du chien, de la présence et du charisme.Généreusement drôle
Et le goût du risque. Car après ses débuts remarqués en Manon des Sources, puis son tour de France des auteurs importants (Rivette et Chabrol donc, Téchiné, Sautet fois deux), Béart aurait pu se contenter de capitaliser sur son image d'actrice populaire dans des productions plus ambitieuses que la moyenne (elle l'a fait, dans Les Destinées Sentimentales, Le Temps retrouvé ou Les Égarés). Mais elle préfère forcer ce naturel-là et risquer les rôles de composition. D'abord l'espionne perverse dans le génial Mission Impossible de De Palma, où elle éclipse le fade Tom Cruise par un battement de paupière. Puis dans une comédie limite nulle, Voyance et manigances, où elle ose l'outrance avec faux accent marseillais et vraies situations abracadabrantes. Redécouverte d'une actrice qui trouve en elle une fantaisie qu'on ne lui connaissait pas, et qu'elle se plaira ensuite à exploiter dans des films moins anodins : le 8 femmes de Ozon ne vaut pas tripette, mais elle se fond sans problème dans ce casting de renardes rusées. Le Fil à la patte de Deville est à peu près tout raté, mais elle y est géniale, simplement parce que son jeu est purement cinématographique et qu'elle ne cherche jamais à faire du Feydeau. Il aura fallu le talent de Marion Vernoux dans son sous-estimé À boire pour lui offrir un beau rôle dans une belle comédie, où le burlesque et l'amertume font enfin bon ménage. La scène (dé)culottée où elle se montre ivre et nue dans la neige est une vraie réponse cinématographique à cette maudite couv' de Elle : Béart n'a rien à cacher, certes, mais elle a surtout bien d'autres choses à montrer.
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