Les Amants réguliers
En revenant en mai 68, Philippe Garrel signe un film-somme, constat désenchanté mais pas nostalgique où les "espérances de feu" se transforment en "espoirs fusillés" : 3 heures irrégulières peuplées de fulgurances.Christophe Chabert
Le problème majeur avec Les Amants réguliers, c'est la manière dont, déjà , une grande partie de la critique s'en est emparée pour en faire un chef-d'œuvre absolu et... incritiquable. Insurmontable contradiction qui consiste à survendre un film fragile, imparfait mais important quand même, sans précaution ni mise en garde. Les Amants réguliers dure trois heures. Sur ces 180 minutes, la partie centrale est la moins passionnante ; Garrel y fait du Garrel, cinéma en chambre où un homme et une femme s'enfoncent dans l'ordinaire de la conversation murmurée, à peine audible, suite de temps faibles traduisant l'intimité du couple. On s'en fout un peu, mais le film doit en passer par là pour aller au bout de ce qu'il raconte. Car il y a en effet matière à raconter.Une histoire d'amertumeCette matière, c'est mai 68 et ses conséquences sur un groupe de jeunes gens venus d'horizons divers mais tous un peu artistes : les garçons sont beaux, les filles sont sublimes, ils fument de l'opium, vont jeter des pavés et, finalement, font l'amour, ce que Garrel, dans un élan de pudeur volontariste, laisse systématiquement hors champ. Dans la première partie (Les Espérances de feu), le cinéaste transforme l'économie de son tournage en parti pris de mise en scène : les affrontements sont filmés de loin, avec peu de figurants, dans des poses presque picturales qui traduisent d'un côté l'élan de la jeunesse, de l'autre la rigidité du pouvoir en place. Une idée reprise quand François (Louis Garrel, fils de son père, désarmant de naturel) passe devant le tribunal pour échapper à son service militaire. Le noir et blanc somptueux de William Lubtchansky, la grâce peu commune qui émane de cette reconstitution tremblante d'un moment décisif dans la vie du cinéaste, les clins d'œil au passé (une chanson de Nico) et au présent (pan ! dans Bertolucci) : Les Amants réguliers dégage alors une étonnante légèreté. Mais, c'est là où Garrel veut en venir, l'utopie va se transformer en désenchantement. Ce sont alors Les Espoirs fusillés, puis Les Moments d'inamertume, avant Le Sommeil du juste. Garrel enregistre l'inéluctable atomisation du groupe, puis l'implosion d'un couple qui pourtant semblait s'aimer à la folie. Les origines sociales, les désirs intimes et les ambitions personnelles viennent saper cet espoir "qui ne se reproduira pas de sitôt" comme le dit Maurice Garrel (père de son fils) dans une scène hallucinée. Nostalgique, Garrel ? Non, comme le prouve ce rêve où François s'imagine revivre sur les barricades les grandes heures de la Révolution Française : l'histoire ne se répète pas, elle bafouille, et chacun doit faire avec, choisir s'il s'adapte ou s'il en meurt.Les Amants réguliersde Philippe Garrel (Fr, 2h58) avec Louis Garrel, Clotilde Hesme...