Match point

Mercredi 2 novembre 2005

Valsant depuis toujours entre drame et comédie, Woody Allen s'offre pour son premier film anglais un concentré émotionnel désarçonnant, frappant là où ça fait mal et où on ne l'attendait pas.Emmanuel Alarco

Difficile d'aborder le Woody Allen de saison sans risquer d'en émousser considérablement les charmes. Pour tout dire, on ne saurait que trop conseiller au spectateur farouche de pousser la porte de la salle obscure en en sachant le moins possible. Car si Match Point possède de multiples vertus, la première est à n'en pas douter celle d'être éminemment surprenant et imprévisible. Il y a d'abord la surprise de cette Angleterre inédite (en même temps, le film est partout présenté comme la première infidélité du cinéaste à New-York, alors question surprise...) et de cette bourgeoisie qui, même si elle cite Strindberg et se passionne pour l'opéra, est loin d'être emblématique de la faune allenienne habituelle ; mais aussi et surtout, la surprise d'un scénario qui après avoir sagement (mais non sans brio) suivi les rails de la comédie de mœurs à la papa, s'autorise une folle sortie de route à mi-parcours. Comme si, après l'étude comparative tragi-comique de Melinda & Melinda et de ses deux récits parallèles, Allen, joueur, décidait de mêler les deux effets en un seul geste.Crimes et déliresTout commence sur un court de tennis. Chris Wilton (Jonathan Rhys Meyers), jeune retraité du circuit professionnel, entame une carrière de professeur de luxe pour londonien friqué à revers déficient. Très vite, il se lie d'amitié avec Tom Hewett (Matthew Goode), fils à papa plutôt avenant qui a en outre la bonne idée d'avoir une sœur(Emily Mortimer). Le reste coule de source : Chris séduit la fille, les parents et même la fiancée de son pote (Scarlett Johansson, parfaite en chienne dans un jeu de quilles), tout en se préparant une jolie place au soleil, via l'entreprise familiale dont il gravit patiemment les échelons. Tout s'enchaîne très vite, Woody jouant de l'ellipse à n'en plus pouvoir, quitte à laisser le spectateur légèrement sur la touche face à une histoire de tromperies et de lâchetés si classique et rondement menée qu'elle donne parfois l'impression d'être survolée. À dessein. Car si Allen emballe son vaudeville avec concision et efficacité, c'est qu'il est sans aucun doute trop impatient d'arriver au cœur de son récit, au point de non-retour ; où la tragi-comédie douce-amère vire au drame le plus atroce ; où, à l'immense surprise du spectateur persuadé que rien de bien méchant ne peut arriver, le sang vient se mêler aux larmes dans une séquence des plus glaçantes. Chez Woody, tout est permis, qui l'eut cru ? Et le fringant septuagénaire de s'autoriser une petite virée dans le fantastique (la brève scène des fantômes) avant, grand seigneur, de s'offrir une dizaine de minutes de polar en guise de dénouement. Surprenant pour du Woody Allen, mais surtout surprenant tout court, Match point est un drôle d'objet cinématographique, réconciliant les multiples facettes de son auteur et distillant un entêtant parfum de revenez-y, histoire de jauger à froid les effets d'une deuxième vision.Match pointde Woody Allen (EU-GB, 2h03) avec Jonathan Rhys Meyers, Scarlett Johansson, Matthew Goode, Emily Mortimer, Brian Cox...