Le Filmeur
Pour sa troisième incursion en terre autobiographique, Alain Cavalier avance cette fois-ci à visage découvert et nous offre de son objectif interrogateur dix ans de sa vie, résumés en 100 minutes d'une densité incroyable. François Cau
Les fans hardcore du cinéaste risquent d'être surpris. Pour la première fois, Alain Cavalier ose se montrer face caméra ; une légère remise en cause cinématographique où il conserve un regard distant, faussement candide, devenant malgré lui le personnage miroir des événements narrés et des protagonistes qui les animent, dans une forme d'un dénuement trompeur. À ce titre, la séquence la plus emblématique du film apparaît au bout d'une heure. Alain Cavalier, le visage ravagé par la deuxième opération nécessaire pour venir à bout de son cancer de la peau, donne son faciès en pâture à l'objectif. Et le réalisateur, fasciné par sa déformation, d'asséner un laconique "pas besoin de maquillage ou d'effets spéciaux...". Une "note d'intention" d'une clarté trop évidente, d'autant que Le Filmeur use tout de même d'un artifice majeur : un montage très cut, piochant dans l'anecdotique, dans les scènes volées à son quotidien ou dans quelques évocations éparses de l'actualité. Avant toute chose, cette scène place Alain Cavalier au cœur d'un film où le passage du temps est disséqué sous ses moindres coutures, et dont les corps en lente mutation se font les témoins privilégiés, faute d'autres repères temporels tangibles. Vie(s)Dans ce kaléidoscope foisonnant, les instants les plus éprouvants sont sans doute les ultimes témoignages des parents de Cavalier, affrontant avec émotion l'inéluctabilité de leur mort prochaine ; des instants contrebalancés par les apparitions mutines de sa compagne Françoise Widhoff, dont le réalisateur n'a de cesse de traquer la nudité, avec une candeur impudique confinant au sublime. Mais que les profanes de l'univers d'Alain Cavalier se rassurent, l'œuvre est très loin d'être hermétique. Les spectateurs avertis auront bien évidemment la primeur (et la saveur) de découvrir de nombreux commentaires sur l'élaboration de ses deux derniers longs-métrages (René et Vies), sur son passage au format DV et surtout son affranchissement de toute équipe technique (garant essentiel de l'intimité de ses deux films précédents). Les novices découvriront le réalisateur par petites touches, en une succession de saynètes dressant le portrait d'un homme au charme malicieux, posant son regard inquisiteur à travers des cadres inattendus, où la parole surgit généralement hors champ. On rechignerait presque à parler de mise en scène pour ce carnet de bord, et pourtant chaque plan porte à sa manière, dans l'instantané de moments saisis au vol et aux récurrences troublantes, la marque de leur auteur. Un témoignage rempli de joies, d'amertume, de légitimes incompréhensions du monde contemporain, et enfin d'une subtile ironie, culminant dans un magnifique plan final. Comme chaque film d'Alain Cavalier, celui-ci n'a pas d'équivalent dans le cinéma français.Le Filmeurd'Alain Cavalier (Fr, 1h37) documentaire