Le côté obscur du cinéphile
Et si le troisième épisode de Star Wars annonçait avant tout un nouvel âge du cinéma américain plutôt que la fin d'une saga mythique ?Christophe Chabert
L'événement annoncé a bien eu lieu : Star Wars épisode III mobilise les spectateurs dans le monde entier et provoque déjà des réactions contrastées. Ici, le débat est parti la semaine dernière après la projo cannoise puis avec la sortie en salles : ce n'est pas mentir que de dire que la rédaction du PB ne compte pas parmi elle de nombreux fans de Star Wars, et puisqu'ici il faut mouiller le maillot, je veux bien me mettre en première ligne des défenseurs de la double trilogie lucasienne. Cela étant, défense ne veut pas dire aveuglement : impossible de reconnaître des qualités à La Menace fantôme, film démago d'un cinéaste pétri de trouille après de nombreuses années d'inactivité ; difficile aussi de ne pas souligner les faiblesses criantes dans la deuxième partie de L'Attaque des clones. Même la première trilogie ne peut être appréciée qu'en laissant de côté des défauts que l'on apprend à oublier au fil des visions (des acteurs pas forcément exceptionnels et un schématisme qui, s'il contribue à la dimension mythologique de la saga, relève néanmoins du coupage de cheveux en quatre)... Sans parler, bien entendu, des limites de la technologie numérique, incapable dans les deux derniers épisodes de rivaliser avec les effets spéciaux "en dur" de la trilogie inaugurale.L'anti-MatrixMais La Revanche des Sith est enthousiasmant en ce qu'il semble le fruit d'une longue méditation de Lucas sur les écueils de sa saga. La présence des acteurs, la luxuriance des décors et l'intensité des séquences d'action se couplent à merveille avec des dialogues laconiques mais lourds de sens tragiques et une vraie qualité feuilletonesque. Grand roman de SF exécuté avec la joie d'un passionné qui croit encore dans la puissance de ce qu'il filme, Star Wars se dédouble, dans son épisode III, d'une dimension mélancolique qui en fait tout son charme. En plaçant Dark Vador comme le personnage central de l'ensemble de la saga, Lucas ne peut que forcer l'analogie entre son statut de cinéaste et celui de sa "création". L'ombre de Coppola-le-maudit (et mentor de Lucas) plane au-dessus de La Revanche des Sith (Palpatine en Colonel Kurtz, pourquoi pas ?) et Lucas, qui a payé son indépendance au prix d'une longue absence créative, termine sa grande œuvre par un indéniable film d'échec. Anakin Skywalker, pauvre pantin manipulé, dupé au nom de l'amour finissant larbin du mal absolu, privé de son propre corps et de son libre-arbitre, est l'anti-héros d'une saga plus dépressive qu'on ne le supposait. Retour au 70's par la porte dérobée : alors que les blockbusters hollywoodiens se font régulièrement doubler par les séries télé, Lucas repose un monde où la cinéphilie règne encore, espoir d'une croyance dans la réalité cinématographique qui est une réponse possible au virtuel à la Matrix avec ses mensonges vrais stériles ouverts à toutes les impostures idéologiques. En cela, il dessine un horizon enfin stimulant à un genre que l'on croyait en voie d'extinction ces derniers temps...