Cannes vu de là -bas
World première pour Le Petit bulletin : la couverture du festival de Cannes, avec cette année un début de compétition officielle qui nous laisse un peu sur la fin (à venir la semaine prochaine).Luc Hernandez
Ovationnée. Voilà comment s'est terminée, à quelques sifflets près, l'unique séance de Batalla en el cielo, le deuxième film de Carlos Reygadas, déjà auteur de Japón. Dépeignant avec une maestria sonore et spatiale la tempête sous un crâne d'un kidnappeur miséreux sur le point d'être arrêté, ce film mexicain constitue de loin ce qu'on a vu de plus singulier sur la Croisette en ce début de festival. Scènes de sexe à la Botero, plans séquences hypnotiques dans Mexico et vertige criminel, Batalla en el cielo joue la carte d'un cinéma radical, ô combien novateur même si succombant parfois à la provocation infantile (une petite pipe de trop au finale...). Beaucoup plus classieux mais tout aussi vénéneux, le dernier film d'Atom Egoyan inspiré du duo comique que formaient Dean Martin et Jerry Lewis à la grande époque. Se déroulant dans les années 60 et 70 au milieu de décors somptueux et d'une intrigue à tiroirs et faux semblants rappelant les meilleurs De Palma, Where the truth lies commence comme une comédie noire avant de finir comme un songe érotique puissant sur fond de meurtre. Cette adaptation d'un roman de Rupert Holmes croise toutes les obsessions du cinéaste canadien (fantasme, dédoublement, deuil, mensonge et dérobade des apparences), portée par un couple d'acteurs au sommet : Kevin Bacon en bad boy et Colin Firth en gentleman. Le reste de la sélection officielle aura été, jusque-là , malheureusement beaucoup moins enthousiasmant.La Moustache, parmi nos favorisHaneke, moins hystérique qu'à l'accoutumée, confond comme d'habitude la manipulation du spectateur avec celle de ses personnages, réfléchissant tellement à la façon de mettre mal à l'aise qu'il enferme son film - et ses acteurs, Auteuil et Binoche à peu près largués - dans un dispositif stérile. Quant à Johnny To, après The Mission ou Breaking News, sous prétexte de traduire l'éternel cycle de la corruption, oublie de construire un scénario dans Election et, malgré un finale splendide, livre un énième polar mafieux conformiste et puritain. Mais le pire est atteint par Marco Tullio Giordana et sa variétoche italienne (on entend d'ailleurs du Ramazotti en bande son) sobrement intitulée Une fois que tu es né, tu ne peux plus te cacher. Il est beau, il a douze ans, il aime son père, il disparaît en mer puis resurgit dans un bateau d'immigrés clandestins pour aimer toute la misère du monde et la faire découvrir à sa famille de riches... L'auteur de Nos meilleures années ne se révèle pas sous son meilleur jour et devant cette nunucherie pour ménagère éplorée, on aurait préféré voir La Moustache, premier film de fiction d'Emmanuel Carrère (auteur à l'écrit de L'Adversaire ou La Classe de neige et à l'écran de Retour à Kotelnicht), booster la sélection officielle. À partir d'un fait apparemment anodin (un homme se rase la moustache, personne ne remarque la différence autour de lui), Carrère dresse à la frontière de la folie un portrait du couple : à quel moment suis-je vu comme je veux me montrer, à quel moment le regard de l'autre sur moi croise-t-il le mien ? Des regards, il nous reste à en croiser, à commencer par ceux de Lars Von Trier, Cronenberg ou des frères Dardenne. On vous raconte tout la semaine prochaine.