Cannes vu d'ici
Lemming et Last days, les deux premiers films en sélection cannoise à débarquer dans les salles françaises, et constituent déjà deux déceptions du festival.Christophe Chabert
D'un côté, un cinéaste français qui aura mis 5 ans avant de donner une suite à un des rares films de genre crédible produit dans l'Hexagone pendant les années 90. De l'autre, un réalisateur américain qui, après avoir obtenu une légitime palme d'or ayant permis à son film précédent, encore plus génial, de sortir sur les écrans après deux ans de purgatoire. Dominik Moll avec Lemming et Gus Van Sant avec Last Days sont les deux premières victimes de l'édition cannoise 2005 : loin des espérances, ils révèlent surtout les limites d'un "auteur" quand celui-ci se recroqueville sur son système de représentation et oublie d'y faire rentrer l'urgence de faire le film. Ainsi de Dominik Moll, qui a de toute évidence beaucoup lu Super-Cannes de Ballard et dont on suppose que Lost Highway est son film préféré. C'est aussi le nôtre, ça devrait bien tomber, mais les clins d'œils très happy few du film (l'ingénieur interprété par Laurent Lucas s'appelle Alain Guéty, les fans comprendront...) ne font que souligner la cruelle distance qui sépare l'œuvre majeure de David Lynch de ce petit drame conjugal arrosé d'un fantastique convenu et d'une dose de mise en scène "inquiétante" : silences interminables entre chaque réplique et bourdonnements de basses lors des travellings exprimant la "menace"... Plus le film avance, plus il cherche à boucler son récit (une vengeance conjugale par la procuration d'un petit couple ordinaire où il faut exécuter un "mari" qui a le tort de se taper des putes pendant que sa femme fait une grosse dépression), plus il s'avère impuissant à susciter le mystère : il ne procure en définitive qu'un paisible ennui (sur 2h09 quand même...).Les nerfs à videL'ennui est aussi au cœur de la gêne procurée par Last days, dernier film de Gus Van Sant extrapolant une fiction minimaliste autour du suicide de Kurt Cobain. On le sait depuis Psycho, Van Sant joue à reproduire les cinéastes qu'il admire : Hitchcock donc, puis Michael Snow (Gerry) et Alan Clarke (Elephant), ou ici Bela Tarr dont il reprend les ballets de corps perdus dans une nature sauvage et des décors désolés. Last days n'est pas plus un film sur Kurt Cobain qu'Elephant n'était un film sur Columbine ; ou, pour être exact et c'est tout le problème, il l'est encore moins. Dépourvu de tout sujet, le film n'a que sa forme à offrir, référentielle donc, mais aussi auto-référentielle : les plans contemplatifs de Gerry ou l'effet disque rayé narratif d'Elephant sont réutilisés, mais vidés de leur puissance de fascination Les "vues Lumière", nouvelle figure de style du cinéaste, ne sont plus que des effets de signature et sa fascination pour les corps adolescents bordurent la complaisance. Au cœur du film, deux scènes laissent deviner ce que Last days auraient pu être : quand Michael Pitt compose en direct un morceau en samplant des guitares rageuses ou quand il s'empare de sa gratte pour interpréter une chanson déchirante. Van Sant filme ce que peu avaient filmé avant lui : l'éclosion de la musique comme un tâtonnement primitif en prise directe avec les émotions de l'artiste. Moment de plénitude à l'intérieur de ce pénible film en creux.