Shame, la chair et la mesure
Post-punk / Le 5 novembre à l'Épicerie Moderne les Londoniens Shame dévoilent "Cutthroat", leur dernière œuvre : la plus tendue, la plus crue mais également la plus clairvoyante.

Photo : Shame © Stkilda/Dead Oceans
Reconnu comme l'un des visages les plus enragés du renouveau du post-punk britannique, le quintette semble aujourd'hui emprunter un autre chemin. Le dernier album marque dès lors une rupture, élevant l'épure en critère esthétique : moins d'explosions, plus de nerf. Guitares-scalpels, batterie à flux tendu, chant aiguisé, dans Cutthroat tout converge vers un langage du resserrement. Le chaos, ici, est calibré, presque sculpté.
Autopsie d'une époque
Sous la production clinique de John Congleton, Shame affine sa matière sonore : angles vifs, textures abrasives, silences tendus. Le disque avance comme une lame : nette, rapide, sans retour. Abandonnant la rage immédiate, le groupe propose, avec ses douze nouveaux titres, un regard froid porté sur ce qui nous consume. Loin de l'autoritarisme d'un manifeste, Cutthroat semble s'approcher d'une autopsie : celle d'une époque saturée d'ego, d'imposture et de vanité hurlée.
Le feu contenu
Charlie Steen chante désormais comme on tranche dans la chair du réel. Les morceaux passent de l'arrogance à la confession, de la pose au vertige, sans jamais s'abandonner à la complaisance. Les figures invoquées (faux prophètes, héros fatigués, hédonistes à bout de souffle) ne sont pas là pour être jugées, mais disséquées. Car Shame regarde le monde non plus depuis la colère, mais depuis la faille, ce point où la lucidité tient lieu de seule survie.
Lignes de tension
Musicalement, le groupe assume une hybridation nouvelle : moins strictement post-punk, plus aventureux. On y croise des éclats électroniques, des nappes plus ouvertes, des respirations soudaines qui laissent deviner un champ des possibles. Ce n'est pas un adoucissement, c'est une stratégie : faire exister la tension dans l'espace, non dans le fracas. Cutthroat pousse ainsi le groupe à se repenser, à tester la limite entre contrôle et effondrement.
Le vertige lucide
Il s'ensuit que le territoire dans lequel Shame s'aventure, c'est la ligne de fracture entre désir et désillusion. À travers une minutieuse observation de la pulsion contemporaine - vouloir tout, tout de suite - et de l'épuisement qu'elle engendre, le groupe tente de comprendre comment la rage peut se transmuer en posture, et l'excès se retourner contre lui-même. Exempt de tout cynisme, Cutthroat parle d'un âge où l'on cherche encore comment tenir debout sans perdre la ferveur.
Reste cette manière singulière d'habiter la faille : ne pas fuir l'instabilité, mais s'y attarder. À Feyzin, la violence se fera mesure, la clameur analyse du réel. Une traversée intense, aiguisée, désillusionnée de notre société contemporaine.
Shame
Mercredi 5 novembre 2025 à 20h30 à l'Épicerie Moderne (Feyzin) ; de 7 à 25 €