Odile Grosset-Grange « Personne ne doit rester à la porte du théâtre »

Publié Mercredi 29 octobre 2025

Théâtre jeune public / Nommée le 1er juillet 2025 pour prendre la suite de Joris Mathieu à la tête du TNG (Théâtre nouvelle génération) et des Ateliers Presqu'Île qui y sont associés, la première saison de programmation d'Odile Grosset-Grange débutera en janvier prochain. Entretien avec celle qui souhaite s'adresser à tous les enfants, des nourrissons aux adolescents.

Photo : Odile Grosset-Grange © Olivier Allard

Le Petit Bulletin : Comédienne, metteuse en scène, vous avez même investi le champ du cinéma dans les projets de Jérome Bonnell et Paul Civeyrac. En revanche, c'est votre première fois à la tête d'un Centre dramatique national (CDN), devant prendre à bras-le-corps la programmation, mais aussi le modèle économique, tout en continuant à créer vos propres spectacles. Est-ce vertigineux ?

Odile Grosset-Grange : C'est à la fois vertigineux et joyeux. La Compagnie de Louise était une "grosse compagnie", j'ai appris à jongler avec de nombreuses exigences et obligations. Là, je traverse un moment de transition où je suis encore en création avec ma compagnie, Boule de neige à la MC2 de Grenoble, avant de me consacrer pleinement à mon nouveau rôle. Cela me permet de souffler, de prendre du recul. Aussi, je suis bien accompagnée, notamment par Ophélie Coq, directrice adjointe du TNG.

LPB : Vous avez choisi plusieurs artistes associés : des autrices et auteurs tel(le)s que Pauline Sales, Antonio Carmona, Mike Kenny, des metteuses et metteurs en scène : Estelle Savasta et le duo de Claire Petit et Sylvain Desplagnes (Compagnie Entre eux deux rives) et la comédienne Camille Blouet. Qu'est-ce qui a guidé vos choix ?

OGG : Dans le projet artistique, j'avais plusieurs choses en tête : déjà, il y avait ce besoin de travailler de la crèche à l'université. Ce qui m'intéresse en compagnie, ce sont les auteurs et les récits qui sont pensés et adressés à la jeunesse. Je trouve qu'on a une très belle richesse de ce côté-là en France, j'aimerais vraiment participer à la faire rayonner dans toute sa diversité. Depuis une vingtaine d'années, l'attention est plus forte sur le théâtre jeunesse, mais je n'oublie pas qu'à l'ouverture du TNG, il s'agissait du premier Centre dramatique national consacré à la jeunesse.

Un autre aspect majeur de mon projet, est de représenter les différentes étapes de fabrication d'un spectacle. Généralement, quand une structure a des artistes associés, il s'agit la plupart du temps d'équipes de mise en scène. Là, on compte deux équipes de mise en scène et trois auteurs et autrices, ainsi qu'une comédienne. On ne les représente jamais ensemble. 

Au départ, je suis comédienne, je connais bien ce métier, je sais que ce regard-là, cette perspective, a beaucoup à apporter. Surtout avec un profil comme Camille Blouet, qui est très "couteau suisse". Elle est, par exemple, à l'initiative du festival Le champ des possibles.

Nous souhaitons monter une commande donnée à chaque auteur associé, et faire tourner les spectacles sur lesquels on a déjà travaillé ensemble. Le TNG en sera producteur, il y aura donc un "répertoire du TNG" qui va tourner, et qui sera bien identifié. Nous souhaitons l'emmener en région, en ruralité. La multiplicité des registres et des adresses en fonction des âges nous permettra de proposer une panoplie de spectacles.

Les équipes de mise en scène seront, quant à elles, en coproduction d'un certain nombre de projets. C'est un peu plus classique.

LPB : La Cie Entre eux deux rives a monté un spectacle ambitieux pour la toute petite enfance (à partir de 6 mois) : (é)mouvoir. Aujourd'hui, est-il devenu possible, envisageable de faire des plus grands formats pour les tout-petits ? 

OGG : On dit souvent que plus les spectateurs sont petits, moins les places doivent être chères. Les jauges sont souvent minuscules aussi, il est donc compliqué de monter économiquement un spectacle plus ambitieux.

Pourtant, je trouve ça important qu'on s'adresse aussi à cette tranche d'âge, parce que cela veut dire qu'on va s'adresser à toute la famille, que personne ne sera laissé à la porte du théâtre. De plus, les parents accompagnant leurs enfants voient aussi ces spectacles, eux aussi ont un accès supplémentaire au théâtre, c'est très important.

Au TNG, on est en train d'envisager un spectacle hors-les-murs où les enfants regarderaient un spectacle depuis l'eau - pourquoi pas, une piscine - avec des seniors amateurs qui feraient une chorégraphie autour d'eux. Ça fait rêver non ?

LPB : Vous avez déclaré souhaiter faire du TNG une "référence" du jeune public. Comment comptez-vous vous y prendre ?

OGG : Il y a très peu de CDN qui sont à destination de la jeunesse en France, pourtant nous avons la mission d'aider une profession en souffrance économique. On programme de grandes tournées, mais on ne marge pas. On soutient des projets ambitieux, on passe des commandes pour soutenir des créations, on est un endroit où les compagnies peuvent venir se poser pour développer des nouvelles choses. On soutiendra autant que possible la création, et on est en train de penser tous les leviers économiques ainsi que ceux de visibilisation qui sont à notre disposition.

LPB :  En 2023 vous avez monté une forme hybride, Cartoon - ou n'essayez pas ça chez vous ! mêlant théâtre, magie nouvelle, marionnettes, dessin animé, comédie musicale, qu'on retrouvera au TNG en janvier. Est-ce important pour vous de croiser les disciplines ? 

OGG : C'est aussi le cas dans Le Chat sur la photo que j'ai monté avec Antonio Carmona par exemple, on a mélangé le jeu et la magie : les spectatrices et spectateurs venaient pour une chose et repartaient en ayant aussi vu quelque chose qu'ils ne connaissaient souvent pas : la magie. Non seulement cela donnait du rythme au spectacle, mais cela nourrissait aussi la curiosité et l'imaginaire. La magie est en train de récupérer ses lettres de noblesse, avec des esthétiques magnifiques, des artistes tels que Thierry Collet m'inspirent énormément.

Pour autant, même si j'aime bien, je dirais qu'il faut s'adapter en fonction du projet. J'apprécie aussi le théâtre "pur" quand l'histoire le nécessite. Je ne dirais donc pas que c'est ma spécificité, je n'ai pas envie de me définir trop catégoriquement pour l'instant.

Odile Grosset-Grange © Olivier Allard

LPB : Vous avez aussi déclaré vouloir multiplier les endroits de rencontre avec les habitants du territoire. Concrètement, ça ressemblerait à quoi ? 

OGG : On va organiser des goûters deux fois par semaine, les mardis et les mercredis. On pense le hall comme un espace libre, avec des livres jeunesse à disposition, une cabane pour enfant signée par l'artiste plasticien Stephan Zimmerli... Et puis il y a aussi un superbe espace d'exposition dans l'atrium maintenant, tout ça donne un caractère plus ouvert au lieu. Les habitants pourront se rendre au TNG pour autre chose que seulement voir des spectacles. Ils pourront venir juste pour boire un café dans un lieu pensé pour accueillir des enfants par exemple.

On y envisage aussi des événements festifs autour des spectacles : un spectacle de cirque autour de Cartoon - ou n'essayez pas ça chez vous !, par Bastien Dausse de la compagnie Barks, mais aussi un spectacle de magie, pourquoi pas un brunch à l'américaine, pour aller avec le style graphique de Stephan Zimmerli...

LPB : Le CDN n'est pas le mieux doté de France, il est même plutôt dans le dernier tiers. Il y a bientôt trois ans, la Région Auvergne-Rhône-Alpes a cessé de subventionner la structure par suite d'une prise de position de votre prédécesseur, dans le cadre de son mandat syndical au SYNDEAC. Comment envisagez-vous votre relation aux tutelles dans les mois et années à venir ?

OGG : Il est trop tôt pour en parler. Nous allons essayer d'inventer de nouvelles relations. Il est important de noter que nous souhaitons nous rendre en ruralité. Je l'ai toujours fait avec la Compagnie de Louise. Pour développer de beaux projets dans ce cadre-là, on aura besoin d'être soutenus par toutes nos tutelles. À cela il faut ajouter que, comme de nombreux acteurs culturels, j'ai des inquiétudes car personne ne sait ce que sera le budget 2026. 

J'ai des idées pour développer nos finances. Le but d'un CDN est de développer des productions : ça fait partie de nos pistes. Plus on tourne avec nos productions, plus cela nous permettra de dégager un peu de marge pour essayer de produire ou de coproduire d'autres spectacles. Évidemment ça ne suffira pas pour qu'on s'approche des objectifs que nous nous sommes fixés, mais ça fera partie des choses qu'il faut faire d'un point de vue économique, et surtout, artistique.

LPB : Vous prenez votre poste dans un TNG flambant neuf et des Ateliers Presqu'Île sont désormais terminés. Comment envisagez-vous les relations et les usages de ces deux lieux ? 

OGG : Le TNG et ses trois salles est déjà un outil magnifique, il faut maintenant inventer une nouvelle relation entre les deux structures, avec des moyens qui ne sont pas extensibles. On a notamment programmé Mer de Tamara Al Saadi aux Ateliers pour que les lieux soient mieux identifiés. Ils sont très bien situés, permettent des croisements de populations. Si on avait plein d'argent, on y mettrait plein de compagnies en résidence, mais nous sommes plutôt restreints de ce côté-là.