C'est moi Nerona, c'est moi le roi

Publié Jeudi 23 octobre 2025

Roman / Une dictatrice européenne ridicule et méprisable vocifère sur son monde : Hélène Frappat donne vie à Nerona et à un genre de "sitcom fasciste" : le résultat est intéressant mais dérangeant.

Photo : ©Céline Nieszawer

Paranoïaque, autoritaire, d'une certaine stupidité : la satire (assumée) de la Première ministre italienne Georgia Meloni menée tambour battant par Hélène Frappat s'attaque aux stratégies des dictatrices et dictateurs du 21e siècle. C'est au travers de cette version de la ministre mais aussi du cruel empereur romain (auquel elle doit son nom) que les lubies autoritaires sont passées au crible. Discours de post-vérité et d'autocongratulation grossiers, obsession pour le rapport de force et l'écrasement de tout et de tous, détestation pure et simple de la pensée complexe... : tout y est.

Ça tire

Cela, tout en invoquant autour de ce personnage d'autres figures bien connues : le multimilliardaire Elon Musk mais aussi la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen - d'ailleurs dépeinte en toutou servile. On y discerne aussi Donald Trump, Jair Bolsonaro... et - peut-être est-ce trop flagrant pour être vrai ? - Valérie Pécresse, avec la phrase « Rien de tel qu'une femme dotée d'une force herculéenne pour faire le ménage et débarrasser le peuple du fumier abandonné par ses prédécesseurs ».

Hélène Frappat n'a pas forcément habitué son lectorat à ce type d'objet, il faut dire qu'on ne peut pas avoir en tête quoi que ce soit de très précis, tant sa création est variée. Diplômée de philosophie (passionnée de Kant), critique de cinéma qui a côtoyé Jacques Rivette, elle a commencé par publier des ouvrages hybrides, des autofictions jouissives, oniriques et déroutantes Sous réserve et L'agent de liaison en 2004 et en 2007. Elle a plus récemment fait paraître le très beau Le Mont Fuji n'existe pas (2021), croisant nouvelles et romans, interrogeant le rapport à la mémoire. Elle a aussi forgé une bibliographie investie d'enjeux féministes, notamment avec Trois femmes disparaissent et Le gaslighting ou l'art de faire taire les femmes (2023).

Épreuve

Nerona se détache de cette création ; tant par son style que par le rapport que l'autrice entretient avec son sujet. Certaines situations sont assez éloignées de la réalité pour inscrire l'ouvrage dans la dystopie (entre autres, un genre d'Hunger games avec des migrants menacés d'expulsion), d'autres, ne divergent pas vraiment du feuilleton quotidien : les crimes d'État, les manigances, l'asservissement des acteurs culturels... Renvoyant à ce constat pénible : la satire a bien du mal à distancer le réel.

La lecture est une épreuve en soi. Nerona est tellement agaçante qu'elle ne suscite pas vraiment de curiosité, même malsaine. On aimerait qu'elle se taise, enfin. Les seuls moments où elle fait étalage d'autre chose que de sa véhémence, elle déverse un storytelling larmoyant qui n'est pas moins outrancier que ses beuglements. Pas de débat, pas de discours, pas de théorie... juste les vociférations qui ne s'arrêtent pas, et qui farcissent le cerveau. Au vu du sujet, eût-il pu en être autrement ? L'ouvrage agit donc de deux façons. D'une part, il montre avec ironie les stratégies et les discours populistes de l'époque. D'autre part, il cherche à nous immerger, à nous faire éprouver, le vide et la violence qui accompagnent l'avènement de ces personnages. Soyez prévenu(e)s.

Nerona, par Hélène Frappat (aux éditions Actes sud) ; 15€
Rencontre le jeudi 6 novembre 2025 à L'Œil Cacodylate (Lyon 2e) ; gratuit sur réservation

Hélène Frappat

Pour son livre Nerona. Au cœur de l’Europe,  Nerona, une dictatrice déchaînée, qui exige d’être appelée “le Prince”, règne sur sa nation à coups de décrets. Paranoïaque, autoritaire, climatosceptique, égérie de l’efficacité gouvernementale et pourfendeuse de toutes les « déviances », la fondatrice du feu (Force, Énergie, Union) a tout pour plaire. La preuve : le peuple l’a portée au pouvoir.