Films d'intérieur(s)
Collage de séquences façon autoportrait ou embardée hors des lignes droites narratives, films de potes expérimentaux et désinvoltes, théoriques sûrement, rigolo surtout : Philippe Katerine et Edouard Baer inventent un autre cinéma autre.Christophe Chabert

Dans Akoibon, le narrateur se nomme Jean-Bernard Ollivier. Voix-off qui apparaît physiquement à l'écran, elle/il commente dans un style excessivement romanesque les aventures du héros, récitant de roman-feuilleton égaré dans une comédie trop petite pour lui. Il finira par aller acheter des fruits comme un pékin avant de se faire zigouiller au dernier tiers, rattrapé par cette fiction impossible. Autant dire que cet alter-ego d'Edouard Baer est autant un gimmick hilarant que le reflet de son approche théorique : caricature de codes épuisés dont on ne peut que constater in fine le décès. Dans Peau de cochon, pas besoin d'une telle mascarade : Katerine dans son propre "rôle" derrière ou devant la caméra, commente sans cesse l'image en direct, interviewe ses potes ou les met en scène à l'écran... Vérités et mensonges, jeu de dupes et jeu de rôles : chaque épisode, tel un boomerang, finit toujours par revenir vers la personnalité de ce narrateur narcissique, formant à l'arrivée un portrait chinois toujours aussi énigmatique.Caméra
Dans les deux films, la présence de la caméra est plus que soulignée. Fatigués de jouer la comédie, les personnages d'Akoibon la démasquent en cours de film, reprenant de fait leur fonction d'acteur de cinéma, de bonne ou de mauvaise grâce. Dans Peau de cochon, la DV brinquebalée par Katerine n'a pas peur de se refléter dans les miroirs. Elle participe même parfois à l'échec de son entreprise, comme quand il essaye en vain de recevoir un salut amical des automobilistes empruntant la RN 175 en leur faisant un petit coucou depuis un pont. Mais l'échec est, chez Baer comme chez Katerine, beaucoup plus intéressant que le succès...Théorie
Baer évoque par son dispositif réflexif ceux d'un David Lynch ou d'un Luis Buñuel ; Katerine, notamment dans les passages appelés "Hélicoptère", semble se livrer à des expériences proches de celles de Jean Eustache, avec qui il partage une même énergie libidinale traduite à l'image par un flot de paroles fortement sexuelles. Bref, Peau de Cochon et Akoibon sont de formidables manifestes pouvant alimenter 100 pages de réflexions théoriques sur l'image, le son, le langage, la narration... Et pourtant, ce sont surtout des films pour déconner, des essais ludiques et déjantés portés par un évident principe de plaisir. Des films qui font bouger le cinéma parce qu'ils n'ont surtout pas l'intention de le faire bouger.