Locataires

Mercredi 20 avril 2005

Tout en radicalisant ses tics de mise en scène, Kim Ki-duk nous livre "enfin" un film baigné d'une tendresse apaisée. La barbarie sociale se réfugie dans l'illusion amoureuse, le temps d'une romance à l'onirisme bouleversant.François Cau

Un jeune homme squatte des maisons provisoirement abandonnées, et transpose ses petites habitudes de vie dans ses habitats d'occasion. Jusqu'au jour où l'une de ces maisons vides se révèle être occupée par une femme, malheureuse et aussi silencieuse que lui. Difficile d'évoquer la narration de Locataires sans en effleurer le dénuement, difficile de retranscrire sa simplicité limpide sans déflorer son charme languissant. C'est un Kim Ki-duk en pleine maîtrise de son art que l'on retrouve ici, un cinéaste qui abandonne temporairement, le temps d'un long-métrage, ses obsessions pour la violence froidement humaine et la sexualité bestiale pour mieux rebondir sur l'efficacité de sa mise en scène. Point de séquences choc ici (quoique...), le réalisateur nous propose une succession d'instants volés, de bonheur fugace rattrapé par une réalité insupportable martelant sans cesse ses frustrations. La cruauté se fait moins frontale, plus diffuse, et s'efface devant l'émotion délicatement retenue des rapports naissants. Ménage adroitLe réalisateur des éprouvants Adresse Inconnue, The Coast Guard ou l'inédit Bad Guy ne tourne pas le dos pour autant à sa filmographie antérieure ; ses marques de fabrique narratives sont même accentuées. Si les héros de Kim Ki-duk n'ont jamais été de grands bavards, les deux amants ne prononceront ici qu'une seule phrase. Leur relation se nouera par des gestes, des regards, des déambulations sans but de maison en maison, la construction d'un quotidien décalé laissant le temps aux sentiments de s'installer, avant que le troisième facteur de l'équation (le mari bafoué, libidineux et forcément caricatural) ne vienne reprendre ses "droits". Comme dans ses opus les plus marquants, le cinéaste fera résonner la même mélodie aux instants clés (le sublime morceau Gafsa de Natacha Atlas), tel un véritable moteur narratif, porteur d'émotions tour à tour brutes et mélancoliques. Ses plans demeurent d'une beauté implacable, captations parfaites d'atmosphères en accord avec le jeu éthéré, limite abstrait de ses comédiens. Locataires suit sa propre logique, sa propre cohérence jusque dans sa déroutante (mais magnifique) dernière partie. Kim Ki-duk, le brillant poète visuel des bas instincts, nous livre son œuvre la plus sensible, et du même coup la plus abordable. À l'image de son héros mutique, le réalisateur semble s'effacer pour disparaître du champ de vision de ceux qui ne veulent pas le voir, des spectateurs rebutés par sa vision désespérément amère des relations humaines. Locataires demeure au-delà de cette frêle ambiguïté un songe splendide, une délicate rêverie amoureuse s'élevant vers des sommets de suggestion cinématographique.Locatairesde Kim Ki-duk (Corée du Sud, 1h35) avec Jae Hui, Hee Jae, Lee Seung-yeon...