Vera Drake
Mike Leigh feint d'ignorer les règles du mélodrame lacrymal pour mieux les ressortir à la fin de ce portrait d'une faiseuse d'anges anglaise dans les années 50.Christophe Chabert
La sortie presque simultanée de Mar adentro et Vera Drake, ainsi que leur triomphe commun au dernier festival de Venise (les deux premiers prix et une distinction pour leurs interprètes principaux) pousse fatalement à la comparaison. Amenábar et Mike Leigh s'aventurent dans un genre (le biopic à thèse) qu'André Cayatte pratiquait il y a quarante ans, à cette différence près que l'on est ici face à d'authentiques cinéastes. Euthanasie vs avortement, les deux films labourent un matériau polémique curieusement dépassionné à l'écran, la thèse étant rapidement posée, et encore plus vite entendue comme légitime. Mais là où Amenábar, encore jeune, utilise ces contraintes pour tester les capacités de son cinéma, Mike Leigh, qui n'a plus rien à prouver, manipule son savoir-faire avec une certaine roublardise.L'abbé des angesLa première partie de Vera Drake, la plus réussie, montre Miss Drake, femme de ménage souriante, bonne mère et bonne épouse, pratiquer avec la même jovialité sincère des avortements auprès de jeunes femmes en détresse, bénévolement et en secret de sa famille. Les vignettes truculentes (marque de fabrique de Mike Leigh depuis Secrets et mensonges) sont alimentées par un défilé d'Anglais moches et rougeauds, mais soutenues par quelques idées fortes : l'abnégation de Vera Drake, son sacrifice pour le confort de la bourgeoisie qui l'exploite, sont-ils les produits d'une vraie inconscience de classes ou la nature même de cette mère courage que le film va s'employer à sanctifier deux heures durant ? De fait, si l'absence de l'Église est frappante à l'écran (pourtant moteur dans le tabou de l'avortement pendant les années 50 du film), Leigh récupère les motifs religieux dans sa mise en scène. C'est le basculement du film avec ce montage parallèle entre l'hospitalisation de Pamela Darnes, l'enquête qui en découle et la fête chez les Drake, avant rencontre des deux pour l'arrestation de Vera. Le mélo, que le cinéaste contenait jusque-là derrière une certaine sécheresse, vient alors envahir l'écran : le visage éploré d'Imelda Staunton s'affiche plein cadre et les chœurs angéliques se répandent sur chaque plan de transition. Leigh semble viser une sorte de Douglas Sirk prolo, mais il est beaucoup trop malin pour atteindre le premier degré nécessaire à un tel projet. Dans sa deuxième heure, Vera Drake est un film qui sent la mesure (c'est la loi qui a tort, pas ceux qui l'appliquent), en contradiction avec ce personnage qui se donne sans compter. Cette générosité semble être une énigme pour Mike Leigh, cynique même dans ce rôle un peu forcé d'abbé réclamant, cinquante ans après, une justice que personne, dans un public réduit au rôle de témoin de moralité, n'osera lui refuser. Bien que laïcisé, le prêche ne s'adresse ici qu'à des convertis.Vera Drakede Mike Leigh (Fr-Ang, 2h05) avec Imelda Staunton, Richard Graham...