American Gangster

Mercredi 21 novembre 2007

Ridley Scott, en grande forme, dresse le portrait du premier parrain noir du crime new-yorkais, dans une fresque épique qui interroge en profondeur l'identité américaine.Christophe Chabert

American gangster a une double manière de cueillir son spectateur. D'abord, l'immerger dans une peinture précise du New York des années 70 où se joue un affrontement à distance. D'un côté, Frank Lucas, un parrain du crime afro-américain, impose son autorité en prenant le contrôle du trafic d'héroïne. De l'autre, Richie Roberts (Russell Crowe), flic juif tenace, découvre au fil de son enquête l'ampleur de la corruption qui gangrène la police de la ville. Ces deux duellistes donnent leur rythme trépidant au film, qui tient largement ses 157 minutes, notamment à travers des scènes d'action spectaculaires comme Ridley Scott n'en avait pas mis en scène depuis La Chute du faucon noir. La fresque suffit donc à combler toutes les attentes, mais le cinéaste ne s'en tient pas là, car American Gangster est aussi une réflexion sur l'identité américaine ainsi qu'un regard sur l'envers de la "libre entreprise" comme ascenseur social.Business is businessDès la première séquence, la mort du mentor de Frank donne lieu à un dialogue détonant sur les temps qui changent, le petit commerce remplacé par les grandes enseignes... De fait, ce parrain "de quartier" va être remplacer par un parrain "globalisé" qui, en plein conflit vietnamien, part à Saigon pour y signer le contrat du siècle, l'importation d'héroïne pure par tonnes, qu'il raffine et coupe de manière industrielle avant de la vendre sous sa marque "déposée". Plus que ses origines ethniques ou sa violence impitoyable, c'est sa capacité à transposer la mécanique libérale dans la marge criminelle de la société qui permet à Franck de gagner le respect des autres communautés. D'ailleurs, Lucas ne quitte jamais l'habit du chef d'entreprise, le costard-cravate, et c'est une seule faute de goût (un manteau en fourrure trop voyant) qui entraîne sa chute. À l'autre bout du récit, l'entêtement de Roberts à refuser les méthodes des flics ripoux le condamne à être un marginal qui a le malheur d'obéir à la loi. Dans American Gangster, les frontières sont poreuses entre le droit et son effraction : pendant que Nixon promet de mener la guerre à la drogue, ce sont les dealers qui lui offrent une paix sociale à Harlem, et les policiers qui en tirent le plus grand profit. Si Ridley Scott, cinéphile dans l'âme, signe ici le plus beau des hommages aux grands films de Sidney Lumet (surtout Serpico et Le Prince de New York), il y ajoute une thématique très personnelle à travers ses personnages féminins. Dans ce combat de coqs viril et obsessionnel, c'est une gifle assénée par une mère et un camouflet judiciaire infligé par une épouse délaissée qui font figure de voix de la raison. Chez Scott, que ce soit dans des films aussi différents qu'Alien, Gladiator, Une grande année ou Thelma et Louise, la féminité est l'ultime garde-fou d'une société masculine emportée par l'argent, la violence et le pouvoir. American Gangster est le nouveau chapitre, brillant, d'une œuvre passionnante et encore sous-estimée.American Gangsterde Ridley Scott (ÉU, 2h37) avec Denzel Washington, Russell Crowe...