"Comme un premier film"

Mercredi 5 décembre 2007

Rencontre avec Wong Kar-Wai, qui a craqué pour Norah Jones et l'a suivie jusqu'en Amérique pour tourner My Blueberry nights, un film modeste plus proche de ses débuts que de ceux qui ont façonné sa légende.CC

On connaît les fameuses anecdotes sur Wong Kar-Wai. Ses tournages s'éternisent, personne n'en connaît le scénario, ils sont terminés l'avant-veille de leur première projection publique, et seul le maître sait alors à quoi va ressembler cette version finale tant il a accumulé de matériel sur la table de montage, au point de pouvoir en tirer deux ou trois films complètement différents. Dernier point de la légende, qui enfonce le clou d'une personnalité énigmatique : le cinéaste ne quitte absolument jamais ses lunettes noires. Quand on le rencontre à la Villa Lumière, tout cet attirail mythologique paraît bien loin. Seules les lunettes sont là, inamovibles. Pour le reste, le cinéaste apparaît chaleureux et disponible, heureux de parler de My Blueberry nights, dernier film et première expérience aux États-unis. Il ne cache pas cependant que My Blueberry nights aurait pu se passer ailleurs "à Hong-Kong, à Paris ou à Istanbul". Il explique : "La seule raison de tourner en anglais, c'est de travailler avec Norah Jones. Manifestement, elle ne savait pas parler chinois et elle devait rester aux États-Unis à cette époque car elle travaillait en parallèle sur son nouvel album". De l'Amérique, il dit avoir surtout voulu reproduire des figures mythiques : "Les pièces de Tennessee Williams et la musique d'Otis Redding pour la partie Memphis, les peintures d'Edward Hopper pour le café new-yorkais, et pour le personnage de Natalie Portman, j'ai beaucoup pensé à ceux de Gena Rowlands dans les premiers Cassavetes. My Blueberry nights m'a donné la chance de rendre hommage au cinéma de genre et aux artistes américains que j'admire".Lunettes noires pour nuits myrtilleOn tente de l'interroger sur son goût pour l'abstraction ("Le choix d'un plan est celui d'un metteur en scène pour mettre en valeur l'histoire") ou sur le fait d'avoir réalisé un road movie ("My Blueberry nights n'est pas un road movie, car l'esprit d'Elizabeth et ses sentiments restent attachés à New York") ; ça ne va pas bien loin. Quand on suggère que le film paraît avoir été très écrit, très mis en scène, mais que le montage semble moins décisif que pour In the mood for love et 2046, la discussion s'anime un peu : "Vous ne pouvez pas imaginer à quel point le montage a été difficile ! On pouvait changer l'ordre des trois chapitres, et on pouvait aussi monter l'ensemble du film du point de vue d'Elizabeth, ou de celui de Jude Law. On a essayé beaucoup de combinaisons différentes." Dans la foulée, il ajoute que "tout ce qui a été tourné se retrouve dans le film". Ou presque, car entre sa présentation cannoise et la version qui sort ce mercredi sur les écrans français, le film a fondu d'un quart d'heure. Qu'est-ce qui est passé à la trappe ? Pour Wong, "les voix-off des personnages" ; pour ceux qui ont vu les deux versions, les longueurs manifestes qui émaillaient la partie avec David Strathairn à Memphis. Alors, ce film est-il pour lui un nouveau départ ? "Non, plutôt comme un premier film..." Le Wong Kar-Wai nouveau est arrivé ; mais il ressemble quand même beaucoup au Wong Kar-Wai d'avant !