Je suis un cyborg

Mercredi 19 décembre 2007

Il faut prendre le nouveau film de Park Chan-wook pour ce qu'il est : une pause récréative entre sa trilogie de la vengeance et son prochain "Evil Live". Une fantaisie sucrée, souvent jouissive, mais aux limites envahissantes.François Cau

Photo : (c) Wild Side

Le cas de Park Chan-wook est épineux. On a indéniablement affaire à un virtuose de la caméra, capable de concilier prouesses techniques, travail intelligent sur l'image, et réflexion poussée sur le pouvoir d'évocation du cinéma. Un artisan génial, qui au-delà de son talent manifeste s'avère prompt à se plier à des desiderata commerciaux, comme à se mordre la queue dans l'exploration de ses thématiques. Que faire lorsque l'on a déjà concilié divertissement populaire et film d'auteur avec une maestria rarement égalée (JSA), qu'on a livré un pamphlet social parmi les plus radicaux de ces dernières années (Sympathy for Mr Vengeance), et qu'on a offert au public international le film de genre ultime (Old Boy) ? Je suis un cyborg n'apporte aucune réponse à cette somme de questions qui taraude les fans du cinéaste. Comme le déclare son auteur, il s'agit d'un break artistique, une sorte de caprice qui charmera les novices de son univers autant qu'il exaspérera ses aficionados, laissés sur le carreau par une œuvre à l'ambition volontairement moindre.Je fais le fumiste, mais c'est OKPark Chan-wook emprunte donc le chemin tortueux de la comédie romantique, empreinte d'une bonne dose de noirceur (on ne se refait pas). Young-goon est persuadée d'être un cyborg, un robot de combat dont les fonctions seraient inhibées par son empathie envers les êtres humains. Internée suite à "une erreur de branchement" (superbe scène d'introduction), elle croise le chemin de Il-Soon, gentil frappadingue capable de voler les aptitudes des gens qui l'entourent. Ce dernier tombe fou amoureux d'elle, et va essayer de la convaincre de se nourrir d'autres choses que de piles. Sur cette trame pateline, Park Chan-wook se fait fort de créer de toutes pièces un univers visuel débordant d'inventivité, de cadres incroyables, de plans magnifiques, de digressions esthétiques fascinantes. Là où le bât blesse, c'est dans la description des personnages entourant les deux héros. On souligne de temps à autre l'incompétence tragique du corps médical, et les autres pensionnaires de l'asile ne servent finalement qu'à insuffler un vent de folie comique pas toujours bien vu, tant ces faire-valoir soulignent le caractère le plus cynique du réalisateur. Un humour noir que le metteur en scène ne maîtrise toujours pas, tant il dédramatise en permanence les enjeux d'une histoire qui aurait pu atteindre des sommets. C'est lorsqu'il renoue avec ses démons que Park Chan-wook livre les plus belles séquences de son film : dans ses quelques éclats de violence, bien sûr, mais aussi dans les émouvants moments de solitude de ses protagonistes. Enfin débarrassé de son envahissant second degré, le réalisateur nous rappelle qu'il fait partie des artistes les plus stimulants de sa génération. Car on a beau faire les fines bouches, il y a plus de cinoche là-dedans qu'en un trimestre de cinéma français !Je suis un cyborgde Park Chan-wook (Corée du Sud, 1h45) avec Lim Soo-jung, Jung Ji-hoon...