Les enchanteurs de Mexico
Retour / Alfonso Cuarón, producteur du Labyrinthe de Pan, a réalisé avec Les Fils de l'homme un chef-d'œuvre qui rejoint la démarche de Del Toro : celle d'un cinéma visuel, personnel et engagé.CC
S'il y a un truc qu'on ne digère pas, c'est le sort réservé aux Fils de l'homme : affiche cryptée, campagne de pub lamentable et pour couronner le tout absence de VO en province (sauf à Aix-en-Provence !). Ou comment envoyer au casse-pipe un chef-d'œuvre parce que messieurs les distributeurs ne savent pas à qui ça s'adresse... Certainement pas aux spectateurs d'Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban, précédent film signé Alfonso Cuarón... Mexicains apatridesCuarón et Del Toro sont des Mexicains apatrides, capables de tourner chez eux, en Espagne, aux Etats-Unis ou, comme ici, en Angleterre... Tous les deux ont aussi envie de prendre Hollywood d'assaut en honorant brillamment des commandes pour mieux réinvestir ce succès dans des films personnels. Ainsi, Les Fils de l'homme est une fable de science-fiction suprêmement sinistre et dépressive. Pourtant, c'est une œuvre admirable, un geste de cinéma d'une puissance soufflante : Cuarón filme en plans séquences un type ordinaire qui traverse un monde où la population a été frappée par deux décennies de stérilité, où des commandos terroristes posent des bombes n'importe où, et où la loi parque les immigrés dans un Londres transformé en Guantanamo géant. Les cadavres brûlent, tout est dégueu (sauf les écrans plasma, omniprésents et immaculés : trouvaille de mise en scène qui en dit plus long que tous les discours pompeux sur les dangers de la télévision...), les citoyens sont hirsutes et violents...Le futur, c'est du passéMais le cinéaste ne fait pas de tourisme dans ce monde-là : sa caméra colle aux basques de son anti-héros (Clive Owen, génial) et l'emporte malgré lui vers son destin (permettre à une femme de donner naissance au premier enfant depuis 18 ans !). À tel point que le spectateur finit à son tour par angoisser face à ce futur pas rassurant du tout mais dans lequel il est plongé comme dans une routine effrayante. Difficile de décrire l'expérience des Fils de l'homme, qui ne cherche jamais à exalter sa virtuosité ou son budget, mais suit avec obstination son objectif : une morale pessimiste mais empreinte d'humanisme. Fable noire, propos engagé, sens absolu de la maîtrise visuelle : Del Toro et Cuarón forment à l'heure actuelle un duo mexicain de choc.