Portrait / Travailler la nuit, ce n'est pas seulement accepter d'adopter un rythme qui vous prive d'une vie «normale». Veilleur de nuit dans un hôtel douteux, Nicolas partage, depuis quatre ans, le quotidien de ceux qui vivent à la marge.Dorotée Aznar
Un hôtel discret, près d'une gare, et une décoration d'aussi mauvais goût que le permettent les deux étoiles affichées par l'établissement. Des murs jaune canard, une lumière crue et un comptoir sur lequel on trouve, en bonne place, des fleurs artificielles du plus bel effet. Au milieu de tout cela, un jeune homme de 31 ans, qui a élu domicile derrière ce comptoir depuis qautre ans, une nuit par semaine. «J'ai décidé de trouver un boulot de veilleur de nuit pour payer mon loyer. Aujourd'hui, je travaille dans la fonction publique mais pas assez d'heures pour subvenir à mes besoins», explique notre veilleur à temps partiel. Nicolas parle trois langues mais sans doute parmi les plus pratiquées dans son hôtel. «Depuis que je suis arrivé, la direction a changé. Cela fait deux ans que cet hôtel est devenu un bordel ambulant. Des prostituées vivent ici, parfois avec leurs macs qui les attendent en bouffant des pizzas pendant qu'elles font le trottoir». Selon Nicolas, travailler la nuit, c'est accepter de côtoyer les extrêmes. «Cet endroit me met en contact avec les bas-fonds de la société. D'un côté, il y a le glauque, le sale et de l'autre, le beau qui surgit au milieu du dénuement». Sa théorie est simple : «la nuit, les gens normaux sont chez eux. Ne restent que ceux qui ont choisi les marges, positives ou noires». Le jeune homme n'est pas avare en anecdotes, surtout celles qui l'ont mis au contact «d'une humanité rare». Il se souvient ainsi de cette nuit d'hiver où «un type en haillons débarque, me demande une couverture et une boisson chaude. Je lui donne, il part mais revient quinze minutes plus tard et me demande de la nourriture. Nous parlons et il me dit que ce n'est pas pour lui. Il m'explique qu'il a croisé une famille sans domicile près de l'arrêt du tramway, et que décemment, on ne peut pas laisser des personnes dans un tel dénuement». Des moments qui font glisser les mauvaises rencontres sur Nicolas. «Je ne veux pas devenir blasé», assure-t-il en évoquant avec mépris les clients qui regardent passer «les filles» avec «une sorte d'éclair dans le regard». Il s'imagine parfois dans le rôle du flic, celui qu'on croise dans les séries américaines, qui quitte sa famille parce qu'il est décalé, en dehors de la «vraie vie». «Il suffit de mettre quelqu'un deux semaines ici pour changer son regard sur le monde. Les filles, dans la rue, on ne les voit pas. Moi, je les vois rentrer du boulot. C'est important je pense de plonger le nez dans ce qui est noir». Ce qu'il gardera de cette expérience, c'est une lucidité accrue. «Les filles qui bossent ici sont des victimes économiques, elles gagnent 50 euros par mois en Bulgarie et mille ici, le choix est vite fait». Quant à lui, il a l'impression vague de lui aussi «acheter sa liberté» : «le centre de ma vie n'est pas le travail. En étant ici, je peux garder mon cerveau disponible. D'ailleurs, quand je suis ici, ce n'est pas vraiment ma vie».