Expo / Wanted : Agnès Geoffray, artiste malicieuse et serial-truqueuse, tuant dans l'œuf le vrai pour donner naissance et réalité au faux. Récompense : quelques frissons et une bonne dose de rire. Jean-Emmanuel Denave
"C'était en 1997, j'avais environ 20 ans, je suis allée voir la Biennale de Lyon avec mes parents. Moi je n'avais jamais trop aimé l'art, mais je les ai accompagnés, avec mon frère... L'une des pièces présentées était une pièce de Chris Burden, un rouleau compresseur volant qui tournoyait sur lui-même. À un moment, il a décroché et mes parents et mon frère sont morts sur le coup, écrasés. J'ai perdu mes parents par l'art." Ainsi, sur un coup funeste du destin, l'art est venu à Agnès Geoffray (née en 1973 à Lyon et actuellement installée en Belgique -cela a son importance). Scène primitive pour le moins écrasante qui a non seulement décidé de sa vocation d'artiste, mais aussi de son goût obsessionnel pour les faits divers; et pour ce qu'ils ont de délicieusement horrible et absurde, énigmatique et trivial. Avec Crimes et délices, nous sommes moins du côté de Sade ou de Pierre Guyotat, que du côté de France Soir, de la presse quotidienne et grise, des photographies tramées de traces de doigts noirâtres, de la nausée et du rire provoquée par la lecture de brèves souillées de sangs anonymes. À la BF15, sous forme de papier journal, Agnès Geoffray présente ainsi ses propres chroniques imaginaires, petits récits cruels et truculents.Règlement de contesEt quand l'écrit ne suffit plus, l'artiste n'hésite pas à donner de la voix, chantant a capella, sur des airs de comptines populaires, les vies, aussi légendaires que fictives, d'abominables femmes damnées ou de monstres familiers hachant. " Comme dans le reste de mon travail, confie Agnès Geoffray, ces chansons visent à provoquer des images mentales très fortes. Elles renvoient à la fois à nos peurs collectives et à nos peurs d'enfant. L'image présentée dans la vitrine de la galerie [une fillette effrayée, ndlr] est une bonne introduction à toute l'exposition ". Petit Chaperon rouge égaré dans la ville, et tout à la fois : photo de presse, image d'archive d'origine inconnue, et visage d'angoisse ancré au plus profond de nos mémoires collectives. Comme si nos grands-mères nous avaient lu ledit conte dans les pages du Progrès... D'autres photographies, tout aussi énigmatiques et latentes, émaillent les cimaises de la galerie : corps tronqués, mises en scène mutiques errant aux confins du crime et de l'érotisme... Soit autant de glissements progressifs du plaisir et de la réalité, et de troubles dérives (en images, chants et mots) du réel sur les rivages de la fiction. Dans une interview filmée présentée à l'étage de la BF15, Agnès Geoffray tranche la question du document et de la fiction : " Toutes les histoires que j'écris pourraient très bien être vraies, et je pense qu'elles ont certainement dû être vraies, quelque part ".Agnès Geoffray, " Crimes et délices ", jusqu'au 1er avril à la BF15