Opéra / Splendide création du dernier opéra de Pascal Dusapin à l'Opéra de Lyon : Faustus, la dernière nuit, grâce à une mise en scène époustouflante, vous ferez rêver des jours entiers. Luc Hernandez
Le temps qui se casse la gueule. Voilà comment débute le cinquième opéra de Pascal Dusapin dans la mise en scène inspirée de Peter Mussbach. Sur le cadran géant d'une horloge inclinée, voire très inclinée, qui trône sur la scène comme un astre en chute, Faust s'accroche, en vain, aux deux aiguilles capricieuses défilant à l'envi. Superbe image du chaos de l'homme moderne dont Faust est l'incarnation, assoiffé de pouvoir, de savoir et d'avoir (Méphisto à ses côtés ne cesse de l'assaillir de questions), et pourtant n'ayant jamais l'emprise sur le temps de son existence. La première vedette de cet opéra en " une nuit et onze numéros ", c'est ce décor splendide, aux couleurs délicatement changeantes (l'horloge démontée sera un moment éclairée par en dessous, comme les restes d'une aube lointaine), clinquant comme le robot ménager qui s'invite un instant sur scène, tout en gris métallisé, et pourtant peu à peu ensevelie par la profondeur de la nuit. Il faut dire que Peter Mussbach n'est pas n'importe qui. Aujourd'hui directeur du Staatsoper de Berlin qui co-produit ce Faustus après avoir notamment collaboré avec Karajan, il est l'auteur d'une Traviata hallucinée qui revisitait le mythe de Marguerite Gautier à la lumière de la tragédie de Lady Di ! Après avoir déjà monté l'opéra précédent de Dusapin, Perelà, uomo di fumo, il signe ici une des plus belles productions qu'on ait vue à l'Opéra de Lyon depuis le cycle Janacek.Capitaine SlyLa musique de Dusapin n'est d'ailleurs pas très éloignée de celle de Janacek. Essentiellement composé sous forme de dialogues, Faustus se décline comme une conversation musicale, faite de spasmes chantés (la gymnastique vocale de l'ensemble de la distribution est impressionnante) et de longues plages mélancoliques, laissées à l'orchestre, impérial. Reposant souvent sur des basses calmes et profondes tandis que les violons se font parfois stridents comme pour siffler la fin du monde, la partition est construite comme le décor, en suspension perpétuelle, au bord de l'apocalypse. Mais le tour de force de ce Faustus, sur scène comme dans la fosse, c'est de livrer une expression du chaos en conservant une véritable harmonie. Aussi acrobatique soit-il (magnifique ange féminin incarné par la voix céleste de Caroline Stein), le chant ne verse jamais dans l'hystérie, et l'orchestre peut même nous gratifier de quelques élans festifs, relayés par la farce de la mise en scène (les deux lapins en peluche ou Sly, pochetron céleste tout droit revenu de Falstaff). Seule faiblesse, bénigne : la redondance du livret en anglais que Pascal Dusapin a écrit lui-même à partir de La Tragique histoire de Faust de Christopher Marlowe, insistant un peu trop facilement sur le sens de la vie et l'origine du monde (d'où venons-nous, où allons-nous...). Pour le reste, une nuit avec Faustus vaut bien des jours heureux.Faustus à l'Opéra de Lyon jusqu'au 18 mars.