La face cachée du soleil

Mercredi 9 février 2005

Théâtre / Mise en scène grandiose pour propos bien pensant, Le Dernier Caravansérail déçoit à la mesure de ses promesses. L'excellence y est assassinée par le pathos le plus primaire, l'émotion imposée plus que suggérée.Dorotée Aznar

La dernière création du Théâtre du Soleil à Lyon, on l'attendait comme le messie. Le Dernier Caravansérail retrace l'histoire - ou plus justement les histoires - des réfugiés d'Afghanistan, de Tchétchénie, d'Irak ou d'ailleurs. Même si l'on n'échappe pas à l'aspect catalogue (comment la jeune fille russe devient une prostituée, comment le dissident politique iranien échoue à Sangatte...) et, pour quiconque en doutait encore, le Théâtre du Soleil sait faire du grand théâtre. Démesure de la durée du spectacle (près de six heures), du nombre d'acteurs sur la scène, des techniques sollicitées... Entrer chez Mnouchkine, c'est pénétrer un nouveau rapport à l'espace et au temps. Les comédiens ne touchent jamais la scène, ils sont portés, roulés à l'image de leurs destins fluctuants, de leur quête incessante d'une terre, d'un asile. Les entrées et sorties de scène sont placées sous le signe de la course perpétuelle, les coulisses et les montages font parties intégrantes du spectacle ; l'effusion est constante, portée par une mise en musique grandiose signée Jean-Jacques Lemêtre ; la mise en scène est époustouflante, les scènes d'ouvertures fastueuses (les deux parties débutent en pleine mer), le mélange de lettres, de récits, de vidéo toujours à propos...De l'émotion au pathosQue reprocher alors au Dernier Caravansérail ? Le Théâtre du Soleil se veut fédérateur et Ariane Mnouchkine aime à prêter sa voix aux luttes contre les inégalités sociales. Jusqu'au consensus. Il y a des sujets qui ne font pas débat : la guerre, c'est mal, les talibans sont méchants et la pollution est un fléau. Le Dernier Caravansérail non plus n'incite pas au débat. Parler de la situation des réfugiés en leur donnant la parole, leur permettre de livrer des bribes de leurs histoires, géographiquement distantes et dramatiquement semblables est un pari que l'on ne peut tenir qu'à la condition de fuir le pathos. Or on s'y enfonce jusqu'aux genoux ; le Théâtre du Soleil a les moyens de vous faire pleurer. La dureté de certaines scènes, justement laissées en suspens dans Le Fleuve Cruel, ont-elles besoin d'un happy end dans Origines et Destins ? L'ambiguïté des personnages, la solitude extrême dans laquelle ils sont plongés, ce qu'ils sont prêts à faire pour assurer leur survie laisse bientôt place au seul manichéisme et l'émotion ne prend plus. Le théâtre de Mnouchkine se veut populaire, mais un rapide regard sur la composition du public suffit à s'assurer que le peuple a déserté les rangs. On regarde ce monde cruel l'œil humide, on s'adore d'adorer Mnouchkine. C'est regrettable, sinon détestable.Le Dernier Caravansérail (Odyssées)Textes d'Hélène Cixous par le Théâtre du SoleilJusqu'au 13 mars au Palais des Sports de Gerland