Jeux de l'ego

par
Mercredi 12 décembre 2007

Expos / Olivier Chabanis et Jean-Claude Guillaumon, deux égotistes excentriques et excentrés (l'un à Feyzin, l'autre à Saint-Fons), font de leur moi matière à création, à réflexion et à rire.Jean-Emmanuel Denave

Photo : Jean-Claude Guillaumon, "Mort de l'artiste" (c) DR

À l'heure de l'individualisme roi, de la redéfinition des frontières et de la nature de l'espace public, de l'eau dans le gaz dans les relations entre propriété collective et propriété privée, l'artiste lyonnais Olivier Chabanis (né en 1964) semble enfoncer le clou. Avec des rouleaux de scotch sérigraphié (imprimé de slogans tels que : «À moi», «Mon espace»), il recouvre des objets de ruban adhésif ou délimite une aire déterminée comme on le fait pour une scène de crime ou un chantier de travaux. Et s'empare ainsi sauvagement de tout ce qui lui fait envie... De biens privés et d'icônes du luxe : des distributeurs automatiques de billets, les seins siliconés des publicités Aubade, une belle bagnole, des vitrines d'Hermès, de Dior ou d'Agnès b... Comme d'espaces et de mobiliers publics : coins de forêts, poubelles, pissotières, cabines téléphoniques, abribus, Vélo'v... Là où cela devient subtil et drôle, c'est que Chabanis ne scotche pas son propre nom, mais un «moi» finalement anonyme et indéfini, symptôme d'une pulsion d'appropriation commune à tous et qui nous ramène, au fond, à ce geste de lever une patte canine pour marquer notre territoire. Deuxième tour de vis de l'artiste : les objets sont tellement saturés de scotch et de «moi» qu'ils en deviennent inutilisables !Double jePuisqu'il quitte ses fonctions de directeur du Centre d'arts plastiques de Saint-Fons (qu'il avait contribué à créer en 1986), Jean-Claude Guillaumon offre à tous ses fans (dont nous sommes) une rétrospective de ses œuvres. La plupart consiste en des montages photographiques où l'artiste se met lui-même en scène, endosse différents personnages, prend sa propre tronche comme unique motif de création, d'ironie, de fantasme... Les photographies exposées sont en gros de trois types : des parodies de tableaux célèbres (Bacon, Chirico, Rembrandt, Le Titien...), des mises en scène de l'acte ou du doute créatif (l'artiste lui-même en peintre nu avec une simple palette comme cache sexe, ou bien en peintre maculé de peinture portant un tableau abstrait comme une croix...), des saynètes hilarantes où le monde entier serait peuplé de Guillaumon. Parmi celles-ci, Guillaumon est par exemple : le tortionnaire et sa victime, les trois personnages discutant à bâtons rompus, les trois acteurs répétant une pièce de théâtre, le père et la mère qui ont enfanté un fils à leur image, les différents membres d'une foule manifestant dans la rue... Au-delà du rire, c'est bien sûr les thématiques de l'autoportrait et de l'inquiétante étrangeté du double qu'interroge l'artiste. Et celle encore de la vanité comme dans cette formidable Mort de l'artiste : un Guillaumon mort pleuré par quatre autres Guillaumon à son chevet ! Olivier Chabanis À l'Epicerie Moderne, jusqu'au 6 janvier 2008Jean-Claude GuillaumonAu Centre d'arts plastiques de Saint-Fons, jusqu'au 8 décembre 2007