Nos écrivains ont du talent
Livres / De nombreux auteurs estampillés «Rhône-Alpes» parviennent cet automne à se faire une place dans la déferlante de la rentrée littéraire. Plutôt qu'un énième (et peu excitant) roman d'Angot ou de Nothomb, faites un tour du côté de quelques talents très prometteurs de notre chère région. Vous ne serez pas déçus...Yann Nicol

Les éditeurs de la région ne sont pas en reste puisqu'on retrouve notamment le nouveau roman de Fabienne Swiatly, Une Femme allemande, à la Fosse aux ours (notez que son précédent livre, Boire, est simultanément réédité par Ego comme X), mais aussi le premier titre de la collection «À charge», lancée par la nouvelle structure éditoriale de la librairie À plus d'un titre : Les Ruines de la future maison, d'Hélène Dassavray. Mais c'est sans aucun doute Champ Vallon qui frappe le plus fort avec la publication d'un premier roman littéralement scotchant, intitulé Les Récidivistes. Son jeune auteur, Laurent Nunez, s'était déjà fait remarquer par la publication d'un essai particulièrement réussi chez Corti, intitulé Les Écrivains contre l'écriture, dans lequel il s'interrogeait sur les raisons qui poussaient les auteurs à écrire et sur la propension de la littérature à remplacer la vie : on y trouvait ainsi des auteurs comme Cioran, Artaud, Valery... Son roman s'inscrit dans la même dynamique, puisque Laurent Nunez a choisi de raconter son propre passage à l'écrit en se glissant dans les pas de quatre écrivains qui l'ont particulièrement inspiré : Quignard, Duras, Proust et Genet. Très loin d'un simple pastiche, Nunez ne se contente pas dans Les Récidivistes d'imiter le style de ses mentors. Il s'empare en réalité de leur mode opératoire, de leur manière d'explorer le monde et de s'explorer soi-même avec une facilité déconcertante. La partie proustienne, notamment, centrée sur la perte et, comme il se doit, sur le temps retrouvé est d'une force inouïe. Le plus remarquable est sans doute que cette démarche, d'une profonde érudition, ne verse jamais dans la démonstration ou la pédanterie, en se permettant notamment des détours ludiques et pleins d'autodérision, comme lorsque l'auteur (Nunez lui-même) raconte comment il échoue à revivre le fameux «coup de la madeleine», ou lorsqu'il vit, en tant que victime, une scène durassienne issue du Ravissement de Lol V Stein ...Intime, oui, mais avec du style
L'autre grand livre de cette rentrée rhônalpine est le deuxième opus de Jane Sautière, qui avait reçu le prix Rhône-Alpes du livre pour Fragmentations d'un lieu commun et qui donne avec Nullipare (Verticales) un petit livre d'une grande intensité. Nullipare : ce terme, qui caractérise les femmes n'ayant pas eu d'enfants, est le point de départ de ce texte incandescent qui explore autant la question de la descendance que celle des origines. L'occasion pour Jane Sautière de revenir sur son pays de naissance, l'Iran, sur son existence ballotée entre différentes villes, son rapport aux lieux, mais aussi au corps, au vieillissement, à la place de la femme dans la société... Porté par une écriture sèche et pourtant évocatrice, Nullipare s'affirme comme un livre rare, qui sait transformer les turpitudes individuelles en questions universelles grâce à la puissance émotionnelle d'une voix véritable. Dans le rayon «écriture de l'intime», on est là à mille lieux du vide stylistique d'une Christine Angot et de son pathétique Marché des amants: ce qui renforce notre incompréhension face au silence médiatique qui entoure la sortie de ce petit bijou de sensibilité et de style. Et dire que Jane Sautière n'en est qu'à son deuxième récit...