Ecrivains et captivité
Revue / Le 22 juin 1940, la France signe l'armistice qui met fin à l'une des plus terribles débâcles de son histoire. Près de deux millions de prisonniers de guerre sont envoyés dans des camps en Allemagne : les stalags pour les soldats, les oflags pour les officiers. La majorité d'entre eux y resteront jusqu'en 1945, dans des conditions difficiles, certes, mais pas véritablement inhumaines. À la Libération, il ne fait pas bon être de ceux-là . Symboles d'une défaite cuisante que tout le monde cherche à oublier, considérés par les Résistants comme des lâches et des collabos, souvent oubliés ou «remplacés» par leurs familles et ne bénéficiant d'aucune dimension héroïque, ils sont véritablement mis au ban de la grande réconciliation d'après guerre. De cette expérience de captivité est née une littérature abondante issue de deux périodes distinctes : les récits écrits dans la foulée, entre 1945 et 1947, et les textes produits beaucoup plus tard, dans les années 80, par des hommes qui rédigent leurs mémoires. En tout, ce sont près de 600 livres, qu'un universitaire lyonnais, Michel P. Schmitt, a recensés dans un excellent numéro de la revue Europe, intitulé Écrivains au stalag. Outre cette bibliographie (la plus exhaustive possible puisqu'il reste sans doute beaucoup de livres oubliés, pilonnés, épuisés), ce numéro propose également un regard critique et une hiérarchisation des ouvrages. Ainsi, aux nombreux et peu littéraires récits de vie qui constituent la majeure partie de la production, on préfèrera les véritables œuvres nées de cette expérience. Elles sont, sans surprise, dues à des hommes qui étaient déjà des écrivains, ou qui le devinrent : Henri Calet, Raymond Guérin, Jacques Perret, Georges Hyvernaud ou André Frénaud. Dans leurs livres, la littérature fait son œuvre, en donnant à ce matériau réel (et parfois jugé comme médiocre) une dimension supérieure grâce au travail de la langue, la recherche introspective, la réflexion philosophique ou la mise en fiction. L'un des mérites de ce numéro d'Europe est de rendre à ces grands écrivains méconnus la place que l'histoire littéraire leur doit, et que l'histoire tout court a sans doute contribué à minimiser. Yann Nicol
Europe / Écrivains au stalag (avril 2008). 18, 50 euros
Michel P. Schmitt proposera une conférence sur Écrivains au stalag, le 12 janvier au CHRD.