Le corps, écume du hasard

par JED
Vendredi 4 décembre 2009

Danse / Pour la première fois en France, Virgilio Sieni présente son adaptation chorégraphique du "De la nature" de Lucrèce. Une envoûtante poésie visuelle faite de corps, de mots et de lumières.Jean-Emmanuel Denave

Photo : © Dario Lasagni

Quelque chose de diffus, lent et doux filtre dans l'atmosphère. Ce quelque chose ne nous quittera plus, une heure durant, nous plongeant dans un état hypnotique. Au début du spectacle, les lumières sont mêmes particulièrement troubles, avec de la brume sur le plateau, et puis déjà cette musique sifflante et ensorcelante, ou cette voix féminine grave qui égrène de temps à autre des extraits du texte de Lucrèce, "De la nature". Comme dans ce poème philosophique matérialiste, il y a ainsi un continuum, une chute ininterrompue d'atomes, une fatalité doucereuse de la matière qui nous dépasse et nous traverse à la fois. À partir de là, à cause d'une légère déviation des atomes (le «clinamen» de Lucrèce), des corps prennent forme, éphémères, voués aux configurations du hasard. Sur scène, cela se traduit, d'abord, par l'apparition, entre des rideaux diaphanes, d'un corps féminin porté par quatre autres corps masculins. Sous un masque d'albâtre, la danseuse incarne une fillette qui flotte et se meut au-dessus du sol. Ses gestes sont un peu mécaniques, saccadés et ressemblent à ceux d'un pantin, parfois complètement désarticulé, renversé, vrillé. Les lumières autour varient, passant de l'obscurité à la plus grande intensité, balayant les corps, jouant sur des effets d'apparition et de disparition, pour ne pas dire évoquant la vie et la mort...Sous le signe de Vénus
Plus tard, la danseuse touche enfin le sol, sous le masque, cette fois-ci, d'un nouveau né ! Les gestes sont tout autant hésitants, saccadés, entrechoqués. À la limite toujours de l'effondrement sur soi-même. Et traduisant un effort, une difficulté, un désir d'occuper le vide de l'espace, d'insuffler une forme à ce qui n'est pas voué, par destination, à en avoir une. Dans un troisième et ultime temps du spectacle, la danseuse incarnera une figure de personne âgée, aux mouvements toujours animés par le désordre et le chaos, mais plus apaisés et disparaissant peu à peu... Ce personnage féminin, le chorégraphe italien Virgilio Sieni le désigne du nom de Vénus, se mouvant dans «un espace entre délice et amertume», et dont la danse naît «d'une musique intérieure toujours très ténue et tendue». Ami proche de Castellucci, artiste hétéroclite (formé aussi aux arts martiaux et aux arts plastiques), Sieni signe ici une superbe adaptation de Lucrèce. Son spectacle lie étrangement une texture générale sereine et quasi impalpable, au désordre des corps, à leur gestuelle inapaisée, balbutiante, toujours recommencée. Il n'y a jamais rien de droit, de figé, de «normal», d'habituel dans les corps de Sieni. Mais toujours le mystère et l'émerveillement de mouvements inconnus qui naissent et se poursuivent à la lisière du vide. Virgilio Sieni, La Natura delle cose
Aux Subsistances, du jeudi 10 au samedi 12 décembre (coréalisation avec la Maison de la danse).